N° 718 du Canard Enchaîné – 2 Avril 1930
N° 718 du Canard Enchaîné – 2 Avril 1930
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2 avril 1930 — Marthe Hanau, le poisson d’avril de la finance
Pierre Bénard invente l’« emprunt de libération »
Libérée de prison, Marthe Hanau relancerait un emprunt… pour payer sa caution ! Dans Le Canard enchaîné, Pierre Bénard parodie les prospectus financiers et tourne en ridicule la spéculation à la française. Entre promesses d’actions et illusions de justice, l’affaire devient un poisson d’avril économique — où la « valeur d’avenir » n’est autre que la crédulité du public.
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Mme Marthe Hanau va lancer un nouvel emprunt de libération
À peine une semaine après avoir tourné en dérision son évasion de l’hôpital Cochin, Le Canard enchaîné remet ça. Dans son édition du 2 avril 1930, Pierre Bénard consacre la une à une Marthe Hanau ressuscitée sous les traits d’une femme d’affaires infatigable : « Mme Marthe Hanau va lancer un nouvel emprunt de libération ».
Le ton, faussement sérieux, est celui d’un pastiche de communiqué boursier. La satire se déploie à double fond : elle ridiculise à la fois la spéculatrice déchue et les milieux d’affaires qui continuent, malgré tout, à s’éblouir de ses promesses.
Nous sommes alors en pleine retombée du scandale Hanau. Après avoir dirigé La Gazette du Franc et attiré des milliers de petits porteurs, la « banquière des gogos » a été arrêtée en 1928 pour escroquerie et détournement de fonds. Sa mise en liberté provisoire au printemps 1930 relance les rumeurs et inspire aux satiristes du Canard une comédie financière : Hanau, sitôt sortie, n’aurait rien trouvé de mieux que de créer une société… pour payer sa propre caution.
Bénard expose le projet comme une opportunité d’investissement : un « emprunt de libération », garanti par les souscripteurs eux-mêmes. Tout y est : le style administratif, la syntaxe pompeuse, le jargon du marché. Le texte déroule les paragraphes d’un prospectus imaginaire : « Le capital de 800 000 francs sera transformé en 1 600 actions de cinq cents francs chacune. Ces actions seront de véritables bonnes actions. » Le jeu de mots est volontairement appuyé : dans cette « affaire de la libération », tout est libéré, sauf la raison.
Sous l’ironie, l’article révèle une vérité sociale : dans la France de l’entre-deux-guerres, les petits épargnants continuent de rêver de profits miraculeux malgré les faillites et les scandales. La satire vise moins Hanau seule que le climat d’avidité et de crédulité qui l’a rendue possible. Bénard se moque de ces « 3 000 créanciers de La Gazette du Franc » qui se disent prêts à « souscrire à tout ce qu’on voudrait », comme si la faillite d’hier pouvait servir de garantie demain.
Le Canard pousse le trait jusqu’à la déraison : la future société, apprend-on, aurait pour administrateurs Pierre Laval, ministre du Travail, le juge Glard, et même le directeur des Affaires criminelles du ministère de la Justice. En 1930, ce clin d’œil ne doit rien au hasard : Laval, déjà suspect de collusion avec les milieux financiers, deviendra quelques années plus tard l’un des visages du cynisme politique. Ici, il figure parmi les « actionnaires » de la comédie judiciaire.
L’article se conclut sur une pirouette mordante : cette « valeur d’avenir » sera bientôt cotée « à la Bourse et dans le dossier du juge d’instruction ». En une phrase, Bénard réunit le monde des affaires et celui de la justice dans la même absurdité — comme deux marchés où se négocient la confiance et la morale.
Le Canard avait ouvert l’année 1930 en dénonçant la crise du réalisme gouvernemental ; il la poursuit en démontant la comédie de la finance. Après le « ministère du Mardi gras », voici la « Bourse du Poisson d’avril » : même travestissement, même dérision.





