N° 721 du Canard Enchaîné – 23 Avril 1930
N° 721 du Canard Enchaîné – 23 Avril 1930
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23 avril 1930 — Quand la presse faisait la queue à la “Caisse”
Drégerin et Guilac dévoilent le réalisme selon Tardieu
Sous le titre faussement optimiste « La presse indépendante connaît des jours heureux », Le Canard enchaîné décrit une scène édifiante : les journalistes patientent place Beauvau pour toucher leur enveloppe. En pleine époque des fonds secrets et des clientélismes d’État, Drégerin signe une satire mordante du « réalisme » gouvernemental. L’indépendance, ici, s’achète à la caisse.
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La presse indépendante connaît des jours heureux
En ce printemps 1930, Le Canard enchaîné s’amuse une fois encore à mettre à nu les ressorts du « réalisme » gouvernemental d’André Tardieu. Dans son édition du 23 avril, un article signé Drégerin ironise sur le prétendu optimisme économique du moment, sous le titre trompeusement radieux : « La presse indépendante connaît des jours heureux ».
L’humour est noir, le constat lucide : si prospérité il y a, c’est surtout celle des courtisans et des journaux complaisants, toujours prompts à aller toucher leur dû au ministère de l’Intérieur.
Baptisée « une heure place Beauvau », la chronique décrit une scène imaginaire — ou à peine — dans les couloirs du ministère. Une file interminable de journalistes, dessinée par Guilac, s’étire devant un guichet portant l’inscription « Caisse ». Chacun vient y chercher sa petite enveloppe, avec la docilité joyeuse de qui croit participer à « la reprise ». C’est la métaphore parfaite du système de subventions occultes qui gangrène alors la presse française : un clientélisme institutionnalisé où l’indépendance s’achète au comptant.
Sous couvert de reportage, Drégerin déroule un dialogue d’une ironie cinglante :
— « Vous êtes journaliste ? Vous avez votre coupé-file ? »
— « Voici. »
— « Parfait, votre enveloppe est prête. Vous désirez un portrait dédicacé de M. Tardieu ? »
La satire vise autant le président du Conseil que les petits soldats de la plume, décrits comme des quémandeurs dociles, troquant leur conscience contre un billet de banque. Le texte est ponctué d’allusions transparentes : la fameuse « liste des fonds secrets » oubliée place Beauvau, le « réalisme » de Tardieu vanté par ses ministres, et cette France où « l’intelligence de la pauvreté droite avec l’huissier de service gauche » — une formule digne du meilleur Canard.
Nous sommes en avril 1930. Le gouvernement Tardieu, en place depuis novembre 1929, traverse une zone de turbulences : instabilité ministérielle, soupçons de favoritisme, manipulations financières autour des sociétés coloniales comme la N’Goko-Sangha… Pendant ce temps, la presse dite indépendante dépend plus que jamais des subsides publics. Le Canard, fidèle à sa mission de poil à gratter, révèle le mécanisme avec un rire grinçant. On n’y verse plus dans la dénonciation, mais dans la farce : un ballet de journalistes payés à la ligne et au silence.
La conclusion, faussement apaisée, est un chef-d’œuvre de second degré : Drégerin invite les « incrédules » à venir constater sur place, à la « caisse du ministère ». Et de conclure que le système est d’une simplicité biblique : « Il n’y a qu’à s’amener, et à suivre la foule. » Tout est dit. Le réalisme de la prospérité, selon Tardieu, n’est qu’un art de faire circuler l’argent public vers les bons réseaux, avec le sourire en prime.
Sous le vernis de l’humour, le texte rejoint l’une des obsessions du Canard de l’entre-deux-guerres : la dépendance structurelle de la presse vis-à-vis du pouvoir. En 1930, cette critique prend un relief particulier : la crise mondiale frappe déjà la France, et les journaux, à court de recettes, se vendent au plus offrant. Le Canard, lui, revendique de ne vivre que de ses lecteurs — quitte à se moquer de tout le reste.





