N° 741 du Canard Enchaîné – 10 Septembre 1930
N° 741 du Canard Enchaîné – 10 Septembre 1930
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Le pain a baissé d’un sou …On voit bien que M. Tardieu est absent !
Vers le désarmement général, dessin de Guilac
10 septembre 1930 — “Hip ! Hip ! Hurrah !” : quand Le Canard s’envole avec Costes… pour mieux redescendre sur terre
Le raid de Costes vu depuis la mare aux canards
L’exploit transatlantique de Dieudonné Costes fait vibrer la France ; Le Canard, lui, préfère en rire. Entre fausses louanges, publicité camouflée et diplomates absents, l’article et le dessin de Dubosc transforment la gloire aérienne en comédie très terrestre.
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Hip ! Hip ! Hurrah !
Le 10 septembre 1930, Le Canard enchaîné salue, à sa manière, la traversée de l’Atlantique par Dieudonné Costes, l’aviateur français qui vient d’atterrir à New York après avoir relié Paris sans escale. L’exploit aurait pu inspirer un article patriotique à la presse sérieuse ; il suscite chez le Canard un morceau d’humour ravageur intitulé « Hip ! Hip ! Hurrah ! », accompagné d’un dessin de Dubosc montrant un Maurice Chevalier dépassé par la frénésie médiatique autour du héros de l’air.
Sous couvert d’applaudir, le journal s’amuse à démonter la machine à glorification. Le ton est faussement triomphal : “Costes est parti… et arrivé. Et comment !” Mais aussitôt, la louange se renverse : « Le strict souci de la justice et de la vérité nous commande de rendre hommage à tous ceux qui furent, de près ou de loin, ses précieux collaborateurs ». Et l’on assiste à un défilé burlesque de “bienfaiteurs” : la maison Hispano-Suiza, la firme Dunlop, un certain M. Trouche “qui livra le balai et les deux manches”, François Coty “qui n’a pas hésité à prélever un million sur les cent millions qu’il n’a pas versés à la caisse d’amortissement”, sans oublier le ministre Laurent-Eynac, récompensé pour “n’avoir pas participé à la préparation du raid”.
Ce faux panthéon de la réussite à la française est un petit chef-d’œuvre de satire. Derrière la galerie de noms, Le Canard dénonce la manière dont chaque exploit individuel devient aussitôt une opération de récupération patriotique et commerciale. L’avion de Costes n’est plus un symbole de courage : c’est une vitrine ambulante pour moteurs, pneus et parfums. La “note patriotique” est aussi une facture publicitaire. Le Canard ne s’y trompe pas, lui qui raille le “souci de vérité” de ses confrères tout en glissant, l’air de rien, son propre nom dans la liste des “collaborateurs” : « À nous-mêmes, bien entendu, qui, par notre insistance à blaguer Costes, l’avons incité à nous infliger le plus glorieux démenti ».
Dans le dessin de Dubosc, la satire se prolonge visuellement : Maurice Chevalier, vedette du music-hall et incarnation du Paris mondain, lit son journal l’air contrarié ; la table est couverte de journaux titrant “Costes ! Costes !” L’allusion est limpide : dans une France fascinée par les héros de l’air, même les artistes les plus populaires sont éclipsés par la frénésie médiatique.
L’article se conclut sur une dernière pirouette : « Nous nous empressons de commander quelques fines bouteilles que nous porterons au compte de M. Paul Claudel, ambassadeur à Washington, qui, naturellement, ne se trouvait pas à son poste. » Un coup de bec pour la diplomatie absente, un autre pour la solennité des commémorations. Derrière la plaisanterie, Le Canard tire le portrait d’une époque : celle des raids héroïques célébrés par une presse exaltée et par un pouvoir en quête de symboles, alors que la crise économique et sociale de 1930 commence à gronder.
Costes, lui, deviendra un héros national. Mais dans les colonnes du Canard, il reste surtout le prétexte à un feu d’artifice d’ironie : entre autosatisfaction nationale, publicité déguisée et patriotisme mondain, le vrai exploit, finalement, c’est que l’humour reste en vol.





