N° 742 du Canard Enchaîné – 17 Septembre 1930
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17 septembre 1930 — “De Camille Aymard à Hitler” : quand le rire du Canard sonne l’alarme
Un triomphe allemand vu depuis la mare française
Deux articles, deux tons, une même inquiétude : en moquant la “discipline” électorale des nazis et la complaisance de la presse française, Le Canard enchaîné saisit dès 1930 la menace hitlérienne sous le masque de la satire. Un rire lucide, trempé d’ironie, avant que l’Histoire ne perde son humour. Au commissariat, dessin de Dubosc.
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De Camille Aymard à Hitler - Les élections allemandes sont le triomphe de la discipline
Le 17 septembre 1930, Le Canard enchaîné consacre sa une à un événement majeur qui secoue l’Europe : le triomphe électoral d’Adolf Hitler et du parti nazi aux élections législatives allemandes du 14 septembre. Deux textes s’y répondent avec un humour d’une lucidité glaçante. Le premier, signé Drégerin, s’intitule « De Camille Aymard à Hitler » ; le second, anonyme, ironise sous le titre « Les élections allemandes sont le triomphe de la discipline ». Ensemble, ils offrent un instantané saisissant de la presse satirique française face à la montée du nazisme — un mélange d’ironie, d’incrédulité et de clairvoyance tragique.
Drégerin commence par dénoncer l’hypocrisie de la presse de droite française, qui commente le “triomphe” des réactionnaires allemands avec une jubilation à peine voilée. Il rappelle que ces mêmes journaux — Le Matin, L’Écho de Paris, L’Ami du Peuple ou L’Intransigeant — acclament depuis des années la “force” et la “discipline” des régimes autoritaires, tout en prétendant défendre la civilisation. Or, lorsqu’Hitler fait irruption sur la scène politique avec son cortège de SA et de slogans anti-marxistes, les mêmes voix conservatrices hésitent : l’enthousiasme se teinte soudain d’effroi. “Les militaires, les curés et les capitalistes, c’est bon pour nous, mais pour les Boches, c’est abomination et désolation”, raille Drégerin.
L’article, tout en humour grinçant, met à nu une contradiction française : la droite admire Mussolini et rêve d’un ordre autoritaire à la Tardieu, mais se scandalise que l’Allemagne en fasse autant. Et l’auteur d’ajouter, perfidement : “Le goût de la violence est manifeste, déplorable et inquiétant.” Cette phrase, rédigée quelques jours après le scrutin allemand, résonne comme une mise en garde prophétique.
Le Canard ne se contente pas de moquer : il observe. Dans la colonne voisine, le texte anonyme « Les élections allemandes sont le triomphe de la discipline » décrit, sur un ton de fausse admiration, le spectacle des électeurs nazis “marchant au pas de l’oie, en colonnes de quatre”. Les dessins de Guilac, caricaturant des Allemands à croix gammée se rendant aux urnes au pas de l'oie, font rire… mais d’un rire nerveux. La “discipline électorale” devient ici la métaphore du totalitarisme en marche : la comédie des urnes annonce déjà la tragédie des camps.
L’humour du Canard est d’autant plus frappant qu’il perçoit avant beaucoup d’autres la nature du phénomène. En 1930, le parti nazi vient de passer de 12 à 107 députés au Reichstag, devenant la deuxième force politique d’Allemagne. La crise économique, le chômage et la peur du bolchevisme nourrissent cette ascension vertigineuse. Mais en France, une partie de la presse de droite continue d’y voir une “victoire de la discipline”, voire un rempart contre le communisme. Le Canard, lui, perçoit déjà la mécanique d’un nationalisme délirant : “La discipline fait la force des armées électorales aussi bien que des autres”, commente ironiquement l’article, en évoquant les “quelques tués et deux cents arrestations” de la journée de vote.
En un numéro, le journal satirique donne à voir la clairvoyance de la dérision : derrière les jeux de mots et la moquerie, une inquiétude perce. Si Drégerin rit “pour ne pas pleurer”, c’est qu’il sait déjà que l’Europe s’avance, au pas cadencé, vers une catastrophe.





