N° 752 du Canard Enchaîné – 26 Novembre 1930
N° 752 du Canard Enchaîné – 26 Novembre 1930
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26 novembre 1930 — Quand la commission Oustric enquête sur… Ponce Pilate
Chronique d’une justice qui se lave les mains
Pierre Bénard s’amuse de la nouvelle “commission d’enquête” lancée par Tardieu pour faire la lumière sur le krach Oustric. Entre ordre du jour ubuesque et renvois à l’affaire Law, la Chambre tourne en rond et se félicite de “sa célérité”. Une satire jubilatoire d’un régime qui enquête sur lui-même — et s’absout aussitôt.
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La Commission d'enquête a commencé avec activité ses travaux
Le 26 novembre 1930, Le Canard enchaîné consacre sa une à une satire féroce de la « Commission d’enquête » parlementaire créée pour faire la lumière sur le scandale Oustric, et plus largement sur les affaires financières qui secouent la Troisième République. Sous la plume de Pierre Bénard, la solennité républicaine vire au burlesque : la Chambre se dote d’un nouvel organe d’investigation… aussitôt tourné en dérision comme un théâtre d’ombres où le pouvoir s’enquiert de lui-même.
L’article s’ouvre sur un ton faussement respectueux : « La Chambre vient de désigner une commission d’enquête afin de jeter la lumière sur les derniers scandales financiers. » Et Bénard d’ajouter aussitôt : « Elle l’a fait à la demande de M. Tardieu. » Le trait est acéré : c’est le président du Conseil lui-même, éclaboussé par l’affaire Oustric, qui réclame une enquête… sur son propre gouvernement. Sous le vernis institutionnel, Le Canard souligne la supercherie : « M. Tardieu n’a, comme toujours, qu’un seul but : la justice. Mais il veut la justice tout entière. » Autrement dit, une justice qu’il contrôle.
La suite relève du pastiche administratif. Bénard s’amuse à détailler les « premières séances » de la commission : on débat du calendrier des auditions, on se chamaille sur l’ordre des priorités, on salue la « sagesse » de ses membres — un ballet de politiciens affairés, où tout semble prévu sauf l’essentiel. Le journaliste pousse le grotesque jusqu’à faire citer un commissaire proposant d’ouvrir l’enquête… sur Ponce Pilate. L’allusion, irrésistible, fait mouche : c’est tout un symbole du lavage de mains collectif auquel s’adonnent les responsables politiques. Les députés, note Bénard, se félicitent déjà de « mettre fin à cette affaire qui tourmente la conscience humaine depuis longtemps » ! En une phrase, l’humour du Canard désintègre le sérieux de façade du pouvoir : la commission chargée d’enquêter sur Oustric en vient à traiter de Pilate et de l’affaire Law (celle du financier écossais du XVIIIᵉ siècle). La parodie historique devient un miroir ironique de la faillite contemporaine.
Dans ce jeu de faux-semblants, Le Canard souligne une vérité plus amère : à chaque scandale, la République sort son arsenal d’enquêtes et de commissions, non pour agir, mais pour donner le change. Sous couvert d’“éclairer l’opinion”, ces structures ne visent qu’à gagner du temps et désamorcer la colère publique. Bénard appuie là où ça fait mal : les députés se félicitent déjà d’un “travail sérieux”, les sous-commissions s’empilent, et les experts s’envolent pour le Venezuela avant la fin des débats. L’ironie du Canard se conclut sur une formule digne de Courteline : la devise de la commission serait “Confiance et célérité” — autrement dit, tout le contraire de ce qu’elle pratiquera.
Replacé dans le contexte de l’automne 1930, le texte illustre à la perfection l’art satirique du Canard enchaîné : tourner la crise morale du régime en comédie parlementaire. Alors que la France s’enlise dans une série de scandales politico-financiers — Oustric, Marthe Hanau, puis Stavisky —, le journal joue son rôle de miroir déformant : il montre, par l’humour, l’effondrement d’un système où la corruption s’invite jusque dans les outils censés la combattre. Sous ses airs de farce, Bénard signe un texte de désillusion politique. En 1930 déjà, la République se soigne de ses scandales… par le bavardage.





