N° 755 du Canard Enchaîné – 17 Décembre 1930
N° 755 du Canard Enchaîné – 17 Décembre 1930
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17 décembre 1930 — La Snia Viscosa, ce fleuve où s’enlisent les ministres
Quand Le Canard cartographie la corruption
Du ruisseau Oustric aux marécages Péret, Le Canard enchaîné trace la carte ironique d’un scandale tentaculaire : la Snia Viscosa, fleuve vaseux où se noient banquiers et politiciens. En page 4, Buzelin signe l’oraison funèbre du garde des Sceaux déchu. Sous le rire, une vérité : la République flotte toujours entre boue et faillite.
Bataille de vaches, dessin de Monier – Tout va bien à la prison de Bordeaux, dessin de Guilac
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Ce qu’il faut savoir de la “Snia Viscosa”
Le Canard enchaîné du 17 décembre 1930 consacre son édition à un nouveau chapitre du feuilleton politico-financier qui secoue la Troisième République : l’affaire de la Snia Viscosa, société franco-italienne liée à l’empire d’Albert Oustric, dont la faillite a déjà fait tomber le garde des Sceaux Raoul Péret et ébranlé le gouvernement Tardieu. Fidèle à sa manière, le journal tourne le scandale en fable, entre géographie imaginaire et poésie satirique : un mélange de moquerie, de pédagogie et de venin.
Sous le titre « Ce qu’il faut savoir de la “Snia Viscosa” », l’article transforme l’affaire en une expédition hydrographique absurde. La société y devient un fleuve sinueux, né du “ruisseau Oustric”, qui serpente à travers des marécages financiers pour se jeter dans la “Hottecour” — autrement dit, la faillite politique. Sur une fausse carte tracée à main levée, on voit les affluents et les “canaux de dérivation” baptisés des noms à peine déguisés : Oul-Perré (Raoul Péret), Renneh-Behnar (Henri Bénar, industriel compromis), Maniganss, et un “canal national” qui rappelle les appuis gouvernementaux. Tout l’univers économique est reconfiguré en paysage boueux : “La Viscosa forme alors des marécages encore inexplorés… Bourbeux et exhalant même une assez mauvaise odeur.” Sous le déguisement géographique, c’est la radiographie d’un système où se mêlent spéculation, influence et impunité.
La clé de l’article tient dans cette métaphore filée : la corruption comme géographie nationale. Le style faussement scientifique évoque les chroniques coloniales ou les explorations africaines — un choix d’autant plus ironique que la “Snia Viscosa”, entreprise de fibres artificielles, incarnait justement la modernité industrielle et la promesse du progrès technique. Le Canard rappelle ainsi que, derrière le vernis de la prospérité, se cache une vase financière d’où émergent des ministres compromis, des banques douteuses et des fortunes suspectes.
En page 4, René Buzelin prolonge le trait avec son poème « Consolation à Péret… sur la mort de la Snia Viscosa ». Sur le ton d’une élégie, il parodie la poésie funéraire classique pour consoler le ministre déchu, devenu accusé :
“Ta douleur, ô Péret, sera donc éternelle ?
Faut-il, parce qu’un jour, tu montras pour Oustric des bontés paternelles, qu’on t’accable toujours ?”
Sous des rimes faussement compatissantes, Buzelin enterre à la fois la société et son protecteur. Le ministre “devenu prévenu” symbolise la déchéance d’un régime qui protège les siens tant qu’ils sont puissants, puis les abandonne dès qu’ils coulent. La satire atteint un sommet lorsque l’auteur évoque les “chutes verticales” de la Viscosa, “qui supportent toutes celles qu’on connaît” : le parallèle entre le plongeon financier et la chute morale est d’une précision chirurgicale.
En décembre 1930, le scandale Oustric–Viscosa continue de miner le gouvernement Tardieu. Le Parlement s’enlise dans les commissions d’enquête, les journaux s’indignent, et la presse satirique se régale. Le Canard, en se plaçant à la fois au-dessus et au cœur du tumulte, transforme le chaos politique en comédie cartographique et poétique : un atlas des compromissions, drôle et dévastateur.
La “Snia Viscosa”, explique-t-il, “n’a pas fini de faire parler d’elle”. Et, en effet, elle continuera de hanter la vie politique française jusqu’à la chute définitive de Tardieu au printemps 1932.

 
      



