N° 759 du Canard Enchaîné – 14 Janvier 1931
N° 759 du Canard Enchaîné – 14 Janvier 1931
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14 janvier 1931 — La mode des enlèvements fait fureur
Quand le Canard transforme les vedettes en otages de la presse
Georges Carpentier, Lita Grey, Maurice Chevalier, Mistinguett… tous “enlevés” dans un canular signé Pierre Bénard. Avec une ironie cinglante, Le Canard enchaîné ridiculise la frénésie médiatique d’un Paris en quête de drames. Une leçon d’humour noir sur la fabrique du sensationnel.
Enquêtes…, dessin de Grove.
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Après Carpentier et Lita Greyy, la série des enlèvements se poursuit avec entrain
Le Canard enchaîné du 14 janvier 1931 offre, sous la plume de Pierre Bénard, un sommet d’ironie et de virtuosité journalistique. Son article de Une, intitulé « La série des enlèvements se poursuit avec entrain », transforme la mode médiatique des rapts sensationnels en une farce collective où les vedettes, les écrivains et les politiciens rivalisent de ridicule pour exister.
Derrière cette fantaisie, Bénard signe un texte d’une précision chirurgicale : un miroir de la presse à sensation de l’entre-deux-guerres, avide de drames mondains et d’affaires “à l’américaine”.
Le prétexte : la supposée vague d’enlèvements de célébrités. Après le boxeur Georges Carpentier et Lita Grey, ex-épouse de Charlie Chaplin, le Canard annonce, avec le sérieux goguenard qui le caractérise, que d’autres “victimes” s’ajoutent à la liste : Maurice Chevalier, Mistinguett, Pierre Benoit, et même… Camille Aymard, ce moralisateur que le journal tourne en dérision depuis les scandales Oustric. Bénard multiplie les fausses dépêches, les dialogues absurdes et les protestations outrées — à commencer par celle de Pierre Benoit, qui revendique la propriété intellectuelle du procédé d’enlèvement, “inauguré place Vendôme par les Sinn Féiners”.
Tout n’est qu’invention, mais la mécanique du canular repose sur un constat très réel : dans le Paris de 1930-1931, la presse vit au rythme des affaires et des aventures de vedettes plus ou moins fabriquées.
Cette série d’“enlèvements” imaginaires s’inscrit dans une double actualité. D’une part, le climat de fébrilité médiatique qui entoure la crise financière et les retombées du scandale Oustric : les journaux rivalisent d’histoires pour distraire un public lassé des procès et des faillites. D’autre part, l’influence grandissante du sensationnalisme américain : Bénard évoque Al Capone, les gangsters de Chicago, et le “style Géo London” (journaliste célèbre pour ses reportages d’action), pour mieux moquer l’importation du crime comme spectacle.
Le “rapt de Carpentier” devient ainsi un prétexte à dénoncer la dérive d’une presse parisienne fascinée par le cirque médiatique, où le fait divers tient lieu de politique et où les journalistes “bien informés” fabriquent leurs propres vedettes.
Le Canard, lui, s’en amuse avec brio. Bénard joue sur les registres du pastiche et du burlesque : dialogues dignes du boulevard, chutes en forme d’aphorismes, rumeurs volontairement invraisemblables. Même Mistinguett, outrée d’être “oubliée” dans la série, s’emporte auprès de son biographe, Pierre Lazareff — qui, pris au piège, devient lui-même “victime” de la vedette. On touche là au cœur du comique du Canard : renverser la logique du pouvoir médiatique en ridiculisant ceux qui la subissent ou la provoquent.
Sous ses airs de divertissement, l’article illustre à merveille la plume acérée de Pierre Bénard, qui manie la parodie comme une arme politique. Dans un monde où l’on “enlève” les vedettes pour faire la Une, le Canard enlève le sérieux à la presse.
Le rire du Canard, ici, n’est pas qu’un éclat : c’est un antidote à la déraison d’une époque qui confond l’information et le spectacle.





