N° 77 du Canard Enchaîné – 19 Décembre 1917
N° 77 du Canard Enchaîné – 19 Décembre 1917
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Dans le No Man’s Land
En décembre 1917, Gaston de Pawlowski poursuit sa chronique « Dans le No Man’s Land » avec une ironie mordante : l’actualité n’est plus qu’une succession d’affaires qui s’usent aussi vite qu’elles éclatent. Après Humbert et Turmel, voilà que Caillaux est accusé de « politique personnelle », comme s’il avait inventé l’individualisme en temps de guerre ! Pawlowski détourne l’accusation en un jeu de miroirs : si chacun suit sa ligne privée, le front ne manquera pas de diversité.
Nouveaux riches, dessin d’André Foy – Le sens de la réclame, dessin de Bécan –
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L’édition du Canard enchaîné du 19 décembre 1917 propose, sous la plume de Gaston de Pawlowski, une nouvelle étape de sa chronique « Dans le No Man’s Land ». Fidèle à son art de l’ironie, il choisit cette fois de commenter la prolifération des scandales politiques et judiciaires qui, au fil des mois, semblent se répéter à un rythme mécanique. À force d’accusations, d’inculpations et de commissions d’enquête, l’opinion s’habitue et finit par considérer comme banal ce qui, quelques semaines plus tôt, paraissait énorme.
Pawlowski commence par relever le décalage entre l’ampleur initiale des affaires et la banalisation progressive qui les frappe. L’« affaire Turmel », jugée formidable à ses débuts, se réduit désormais à une simple amende pour vente de vaches tuberculeuses. Quant au capitaine Humbert, compromis dans des affaires troubles, il est vite remplacé par un nouveau « héros » des prétoires. Cette mécanique de dégonflement n’est pas seulement comique : elle témoigne de la manière dont la République, en temps de guerre, digère les scandales pour éviter qu’ils ne déstabilisent trop fortement l’opinion.
Mais c’est surtout le cas Caillaux qui occupe le centre du propos. L’ancien président du Conseil, accusé de relations suspectes avec l’ennemi, se voit reprocher d’avoir pratiqué une « politique personnelle ». Pawlowski retourne l’accusation : après tout, n’est-ce pas le droit de chacun, dans un pays où l’on proclame la liberté des opinions, d’avoir sa propre ligne ? Poussée jusqu’à l’absurde, cette logique aboutit à imaginer chaque patrouille, chaque batterie d’artillerie, choisissant librement sa cible selon ses convictions politiques. Une caricature savoureuse qui montre bien le ridicule des charges, et qui rappelle combien l’individualisme pouvait être un épouvantail brandi contre les opposants politiques.
La force de l’article réside dans son usage de l’analogie animale. Clemenceau, surnommé le Tigre, est décrit comme un « excellent entrepreneur de démolitions ». Mais Pawlowski souligne qu’après le Tigre, il faudra bien un Castor, industrieux et constructeur, pour rebâtir quelque chose. Derrière la plaisanterie zoologique, se dessine une inquiétude sérieuse : le régime de la guerre, avec son cortège d’inculpations et de démolitions politiques, risque de ne laisser que des ruines si l’on ne songe pas à reconstruire.
Enfin, Pawlowski glisse une réflexion sur le suffrage universel : un jour, avertit-il, lorsque la majorité des Français aura été inculpée, ce sera peut-être elle qu’il faudra enfermer. La boutade révèle la défiance croissante envers un système où la morale et la justice semblent instrumentalisées au gré des besoins politiques.
Ce texte illustre parfaitement le rôle du Canard enchaîné : démonter les mécanismes du pouvoir par la satire, en montrant le ridicule des accusations brandies, tout en mettant le doigt sur les contradictions de la République en guerre. L’affaire Caillaux n’est pas traitée comme un drame national, mais comme un symptôme d’un système où l’inculpation devient presque une routine, un rite de passage pour les hommes politiques. Pawlowski s’amuse de cette inflation d’affaires, mais il en pointe aussi la gravité : à force d’accuser tout le monde, on finit par banaliser la trahison elle-même.

 
      



