N° 772 du Canard Enchaîné – 15 Avril 1931
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15 avril 1931 — Le roi d’Espagne détrôné… et déclassé à Deauville
Jules Rivet raille la double chute d’Alphonse XIII
Tandis que la République triomphe à Madrid, Le Canard enchaîné suit la débâcle du roi jusque sur la Côte normande. Jules Rivet imagine une lettre polie mais cruelle d’un directeur de casino congédiant son “client royal”. Un trône perdu à Madrid, une table de poker perdue à Deauville : la monarchie espagnole n’a décidément plus de crédit.
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La situation du roi Alphonse XIII est menacée à Madrid et à Deauville
À la une du Canard enchaîné du 15 avril 1931, Jules Rivet signe un texte d’une ironie cinglante sous le titre : « La situation du roi Alphonse XIII est menacée à Madrid et à Deauville ». Ce jeu de mots sur la double chute du monarque espagnol — politique et mondaine — résume tout l’art du Canard : mêler la satire internationale au goût du trait parisien.
Le contexte historique est brûlant. Trois jours plus tôt, le 12 avril 1931, les élections municipales espagnoles avaient tourné à la débâcle pour les monarchistes : la victoire des républicains dans la majorité des grandes villes provoque une onde de choc. Le roi Alphonse XIII, conscient du vent révolutionnaire, quitte Madrid dès le 14 avril sans abdiquer formellement, tandis que la Deuxième République espagnole est proclamée. Pour l’Europe entière, c’est un symbole : la fin d’un trône vieux de plusieurs siècles, balayé par le suffrage universel.
Rivet saisit l’événement à rebours. Au lieu de relater la tragédie royale, il en fait une comédie mondaine, jouée entre Madrid et Deauville. À la déroute politique, il oppose une déchéance sociale, presque anecdotique : celle d’un roi privé de ses privilèges jusque dans les casinos normands. Il imagine une lettre du directeur d’un établissement de jeux, “M. André”, adressée au souverain déchu — lettre où le ton administratif et les formules de politesse (“salutations distinguées”) deviennent de véritables gifles. Le bon roi, explique le patron, ne sera plus reçu “dans les mêmes conditions”, ni “au même tarif”. Même les tables de poker refusent désormais leur trône à ce monarque sans royaume.
Le trait est d’autant plus cruel que Rivet adopte la langue froide de la bureaucratie commerciale : il cite une correspondance factice qui semble sortie du courrier d’un hôtelier parisien à un client insolvables. À travers ce pastiche de lettre d’affaires, il dégonfle la figure royale : le “roi d’Espagne” devient “le prince-sandwich”, un produit d’appel pour les tables de jeu de Deauville. L’article glisse du tragique au burlesque avec une aisance déconcertante. L’Europe tremble, les foules acclament la République, mais le Canard choisit de raconter la faillite du prestige aristocratique à travers la perte d’un contrat mondain.
Sous la farce, Rivet livre une lecture politique fine. La chute du roi n’est pas seulement celle d’un homme : c’est celle d’un système où la monarchie, désacralisée, n’est plus qu’un divertissement pour oisifs. En renvoyant Alphonse XIII à son statut de figurant des casinos normands, Le Canard dénonce une royauté réduite à un symbole de luxe creux, déconnectée du réel. Le contraste entre le désarroi de la cour (“la reine veut partir pour la Belgique”) et la satire parisienne illustre bien la distance entre le drame espagnol et l’indifférence souriante de la société du spectacle.
Le dessin d’Henri Guilac, légendé « Elle grandira, car elle est Espagnole ! », ajoute une touche de comique visuel : Marianne en danseuse andalouse, perchée sur les tables.
En 1931, Rivet capte mieux que bien des analystes le sens de l’événement : ce qui se joue à Madrid, ce n’est pas seulement la chute d’un roi, mais la disparition d’une manière d’être roi. En la ridiculisant, il en signe l’oraison.





