N° 792 du Canard Enchaîné – 2 Septembre 1931
N° 792 du Canard Enchaîné – 2 Septembre 1931
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2 septembre 1931 — Quand les bandits corses se syndiquent
Une satire signée Pierre Bénard sur l’art très français d’organiser le désordre
Face à un braquage malhabile qui ternit leur réputation, les « bandits corses » décident de créer… leur propre syndicat. Pierre Bénard s’en donne à cœur joie dans un pastiche de bureaucratie et de morale publique, où le crime devient profession encadrée et la justice, affaire de formulaires. Une fable hilarante sur la France de 1931, où même les hors-la-loi rêvent d’ordre et de reconnaissance.
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Les bandits corses s’organisent pour lutter contre les malfaiteurs - Le mauvais exploit du bandit Caviglioli
Sous le titre savoureux « Les bandits corses s’organisent pour lutter contre les malfaiteurs », Pierre Bénard signe dans Le Canard enchaîné du 2 septembre 1931 une parodie irrésistible, où le comique de situation se mêle à une critique grinçante de la presse à sensation et du « folklore » corse que celle-ci colporte. Dans un style alerte et parfaitement rythmé, Bénard feint de relater une actualité régionale sérieuse : la création d’un syndicat des bandits corses, destiné à défendre l’honneur professionnel des « gens du maquis » terni par les débordements d’un malfaiteur isolé.
Le récit part d’un fait divers réel, relayé alors par la presse : un bandit corse, trop audacieux, a braqué des touristes dans une station thermale de l’île. L’événement, repris en boucle par les journaux de métropole, scandalise et amuse tout à la fois. Bénard s’en empare et pousse la logique jusqu’à l’absurde : si les bandits corses veulent préserver leur image de marque, il leur faut désormais une charte, une morale, un règlement intérieur — bref, un syndicat !
L’humour vient d’abord du détournement du langage administratif. Bénard mime à la perfection le style des décrets officiels : « Les demandes devront toutes être visées par le préfet, accompagnées d’un certificat de bonne vie et mœurs en double exemplaire et d’un diplôme de bon tireur. » Il imagine même des sanctions internes : tout bandit coupable d’un meurtre mal exécuté serait « immédiatement exclu ». On reconnaît là l’un des procédés favoris du Canard : faire naître le comique du contraste entre la bureaucratie républicaine et les mœurs sauvages qu’elle prétend régenter.
Mais derrière le trait d’esprit, il y a un regard sur la France de 1931. L’entre-deux-guerres voit se multiplier les faits divers violents, auxquels la presse populaire — Le Petit Parisien, Détective, L’Œuvre — donne un relief dramatique, souvent empreint d’exotisme provincial : les « bandits corses » deviennent une figure mythique, mi-tragique, mi-romantique. Bénard, lui, tourne en dérision ce cliché : ses bandits ne sont pas des hors-la-loi flamboyants mais des petits fonctionnaires du crime, soucieux de discipline et d’éthique professionnelle.
Le pastiche, en filigrane, vise aussi le syndicalisme, devenu omniprésent dans le discours social de l’époque. De la CGT aux ligues corporatistes de droite, tout le monde parle d’organisation, de défense de métier, de moralisation. Le Canard retourne la formule : à force de vouloir tout encadrer, même les bandits finissent par se doter d’un comité et d’un code de bonne conduite !
Enfin, le texte témoigne d’un art consommé de la chute. Après avoir accumulé règlements et promesses de redressement moral, Bénard conclut d’un ton faussement rassurant : « On comprend, dans ces conditions, qu’il soit plus urgent d’intéresser un homme susceptible de modifier par trop la figure idyllique que les historiographes des rois du maquis leur autorisaient. » Sous la légèreté perce une ironie mordante : la presse et le public, fascinés par la violence, fabriquent eux-mêmes la légende qu’ils prétendent condamner.
En ce début des années 1930, le Canard enchaîné poursuit ainsi sa mission : ramener au grotesque ce que la presse « sérieuse » érige en drame ou en épopée. Par la verve de Pierre Bénard, le bandit corse devient un miroir comique de la France elle-même — un pays prompt à se scandaliser, mais toujours prêt à institutionnaliser le scandale.





