N° 794 du Canard Enchaîné – 16 Septembre 1931
N° 794 du Canard Enchaîné – 16 Septembre 1931
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16 septembre 1931 — Quand Gandhi rend visite au “Canard”
André Dahl tisse un portrait spirituel et moqueur du Mahatma
De passage à Londres, Gandhi aurait fait escale… à la rédaction du Canard enchaîné. André Dahl imagine la rencontre improbable : le Mahatma en pagne devisant avec Pierre Bénard et Pierre Laval sous une tente de fortune. Entre humour colonial et satire politique, Le Canard salue à sa façon le prophète de l’indépendance indienne — en lui prêtant le rire que la presse officielle oubliait de lui accorder.
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Pour l'Hindoupendance, Gandhi a rendu visite au "Canard"
Le 16 septembre 1931, Le Canard enchaîné publie en une un texte d’André Dahl intitulé « Gandhi a rendu visite au Canard », accompagné d’un dessin de Guilac montrant le Mahatma assis en tailleur parmi les rédacteurs, rouet à la main, sous une tente improvisée au siège du journal. Tout y est : la caricature, la malice, et surtout ce ton unique du Canard qui, derrière la plaisanterie, vise juste.
Nous sommes à la mi-septembre 1931. Mahatma Gandhi séjourne alors à Londres pour la Table Ronde, conférence organisée par le gouvernement britannique sur l’avenir de l’Inde. Chef du Congrès national indien et artisan de la non-violence, Gandhi est la figure la plus célèbre de la lutte anticoloniale. Mais en France, sa visite ne soulève qu’un intérêt poli. Le Canard, fidèle à sa vocation d’attrapeur d’absurde, s’empare de cette indifférence pour en faire une scène burlesque : puisque la « grande presse » a « cru devoir faire silence » sur sa venue, il invente une visite parallèle — celle que Gandhi aurait rendue non pas à Matignon, mais à la rédaction du Canard.
Le récit démarre dans un ton de faux reportage : Gandhi serait descendu du train à la gare de Lyon, accueilli par la rédaction « dans la tenue nationale : pagne, écharpe de laine et poils d’éléphant dans le nez ». Ce décor volontairement grotesque installe un double comique : le contraste entre la solennité des « comptes rendus officiels » et la familiarité bon enfant du Canard, mais aussi celui entre la grandeur spirituelle du Mahatma et la trivialité des reporters parisiens. Dans le « grand salon d’honneur débarrassé de ses hideux meubles occidentaux », chacun s’assoit en tailleur pendant qu’un phonographe joue Hindoustan et Viens voir ma petite pagode. La satire vise la curiosité exotique d’une France coloniale fascinée par « l’Orient » autant qu’elle le méprise.
Sous les traits de l’humour, Dahl saisit avec finesse les clichés qui dominent alors la perception de l’Inde : mysticisme, pauvreté, sagesse antique et — déjà — une forme de récupération occidentale de la figure de Gandhi. Son Gandhi à lui parle le langage du Canard, ponctué de traits de cuisine et de jeux de mots : « Je veux délivrer l’Inde qui meurt sous le joug. Je veux que tous les matins, au café, les Hindous s’éveillent en criant : “Au joug, là-d’dans !” ». L’effet est irrésistible. En quelques lignes, Dahl résume à la fois l’idéalisme du Mahatma et la difficulté de faire passer son message dans une Europe blasée, qui traduit la spiritualité en calembours.
Mais derrière la blague, un regard politique affleure. Le Canard, en ridiculisant la presse française pour son silence, rappelle qu’en 1931, l’Inde coloniale n’intéresse pas une République française elle-même embarrassée par son propre empire. Tandis que Gandhi lutte pour l’autonomie indienne, la France vient d’inaugurer avec faste l’Exposition coloniale internationale à Paris (mai–novembre 1931) — célébration géante de la « mission civilisatrice ». Le décalage est total : la même année où l’Occident glorifie la domination impériale, Le Canard imagine Gandhi invité à siroter un café dans sa rédaction et à plaisanter sur Pierre Laval « qui se mettrait en caleçon pour discuter à la Table Ronde ».
L’humour de Dahl n’est pas moqueur à l’égard du Mahatma, mais tendre et ironique envers la France. Derrière le comique du dialogue, il y a la lucidité d’un journal qui comprend le sérieux du personnage qu’il parodie. En faisant entrer Gandhi dans l’univers du Canard, Dahl lui donne une existence symbolique : celle d’un homme capable de faire sourire sans perdre sa grandeur.
Le dernier trait est superbe : Gandhi signe le livre d’or du Canard avant de repartir « en toute hâte, en nous disant qu’il avait une formidable envie de tisser… » — clin d’œil au rouet, symbole de son indépendance, et conclusion à double sens : l’artisan du khadi file à nouveau, mais l’ironie du Canard, elle, tisse un lien inattendu entre l’humour parisien et la sagesse indienne.





