N° 812 du Canard Enchaîné – 20 Janvier 1932
N° 812 du Canard Enchaîné – 20 Janvier 1932
59,00 €
En stock
Alors, il va à la pêche ? … Non, il va à la pêche
Janvier 1932 : André Tardieu quitte les labours pour les tambours. Devenu ministre de la Guerre, il fait savoir que ce portefeuille “prime désormais celui de l’Agriculture”. Sous la plume acérée de Jules Rivet, Le Canard enchaîné transforme cette promotion en comédie militaire : journalistes au garde-à-vous, discours à la chaîne, cérémonies absurdes — jusqu’à “l’inauguration d’une guérite neuve à Lons-le-Saunier”. Derrière la farce, une vérité grinçante : la France redécouvre le goût des uniformes, et le Canard s’amuse de voir la République “labourer la gloire” avec les outils de la guerre.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
20 janvier 1932 : Tardieu, du fumier aux fusils
Jules Rivet raille la reconversion militaire du “ministre modèle”
À peine a-t-il quitté l’Agriculture que André Tardieu, infatigable serviteur de la République et champion de la promotion personnelle, se retrouve à la tête du ministère de la Guerre. Pour Le Canard enchaîné, l’occasion est trop belle : Jules Rivet croque avec une ironie mordante ce politicien tout en ego, obsédé par les cérémonies, les discours et la mise en scène de sa propre activité.
L’article s’ouvre sur une consigne qui donne le ton : « À partir d’aujourd’hui, je suis à la Guerre et non à l’Agriculture… Hier, c’était l’Agriculture, qui venait en tête de tous les ministères ; maintenant, c’est la Guerre. » Derrière l’humour, une vérité grinçante : en ce début de 1932, la France, comme l’Europe entière, se militarise à nouveau. La crise économique, les tensions internationales, la montée du nationalisme en Allemagne et en Italie nourrissent un climat d’inquiétude où la “préparation morale” retrouve sa place dans les discours officiels.
Mais Rivet, fidèle à la tradition du Canard, évite le ton grave. Il préfère tourner en ridicule la pompe militaire de Tardieu, en en faisant un général de parade entouré de journalistes serviles : « Les journalistes accrédités se présentèrent les cheveux coupés à l’ordonnance et la main sur la couture du pantalon. » Le style imite celui des dépêches ministérielles — rigide, protocolaire — pour mieux en souligner l’absurdité. L’humour de Rivet repose sur cette inversion : ce n’est pas le sérieux des institutions qu’il attaque, mais leur prétention.
La caricature du pouvoir est ici irrésistible. Le nouveau ministre impose un véritable code vestimentaire à la presse : “boutonnez votre gilet rayé du côté droit pendant la première quinzaine et du côté gauche pendant la deuxième.” Il planifie même des “revues de brosses à reluire et de plumeaux” tous les samedis. Derrière la plaisanterie se devine la satire d’un pouvoir obsédé par les apparences, où le cirage importe plus que le service de l’État.
Puis vient la parodie du “programme de travail” : un calendrier de discours et d’inaugurations si absurde qu’il confine à la folie administrative. Lundi, “discours au Foyer du Soldat de Carcassonne” ; mardi, “remise d’un drapeau à Noisy-le-Loing” ; jeudi, “discours à Étampes aux gars de batterie” ; samedi, “pose de la première pierre d’une maison close à Bar-le-Duc” ; et pour conclure, dimanche, “inauguration d’une guérite neuve à Lons-le-Saunier.” La chute, typiquement canardesque, tourne la frénésie cérémonielle en dérision. La politique devient un théâtre où le verbe et la rosette remplacent l’action.
Sous le rire, Rivet brosse le portrait d’un Tardieu épuisé mais incapable d’abandonner la scène. Ancien journaliste, technocrate avant l’heure, il incarne le modèle du “ministre gestionnaire” de la Troisième République — actif, ambitieux, mais sans vision. Sa boulimie de discours contraste avec la gravité d’une époque où la France s’enlise dans la crise et où les tensions européennes s’exacerbent. En 1932, pendant que l’on raille les ministres et leurs plastrons, le chancelier Brüning chancelle à Berlin, et Hitler attend son heure.
L’humour de Jules Rivet n’en devient que plus précieux : il révèle, sous le vernis du ridicule, une inquiétude nationale. La “guerre” a repris sa place au sommet de l’État, et le Canard le dit à sa manière — en riant jaune.
20 janvier 1932 : le Canard en campagne
Sous le titre ironique « Le pays manque d’hommes… », André Dahl offre à ses lecteurs une bouffée de satire électorale dans un climat politique morose. En ce début de 1932, la France se prépare à de nouvelles élections législatives. La crise économique mine le pays, les scandales se succèdent, et la classe politique semble à bout de souffle. C’est dans ce vide moral et civique que le Canard enchaîné lance sa candidature… collective.
Avec un humour typiquement “canardesque”, Dahl détourne le constat récurrent du “manque d’hommes d’État” en se présentant, avec ses camarades de rédaction, comme autant de candidats potentiels. Le ton est faussement sérieux, truffé de formules d’investiture et de promesses de circonstance. Derrière le jeu, une satire limpide : celle d’une République où les ambitions médiocres remplacent les convictions, et où le suffrage universel tourne à la farce.
L’article fonctionne comme une galerie de portraits. Chacun des journalistes du Canard — de Maurice Maréchal à Pierre Bénard, de Rodolphe Bringer à Pierre Scize — se voit attribuer une “circonscription” et un profil électoral à peine caricatural. Le style pastiche les notices de candidature et les discours d’introduction, jusqu’à la démesure : Maréchal, “galant homme sachant tourner le compliment”, serait élu “dans dix départements si les dames votaient”, tandis que Bringer, “radical super-indépendant”, ferait campagne “au chevet de la mer malade”. Dahl lui-même, faussement modeste, promet des “lignes qui raviront les yeux et pas des poings sous les nez”.
Au-delà du comique, le texte illustre l’esprit d’équipe et d’autodérision du Canard des années 1930. Tous ces rédacteurs, compagnons de plume avant tout, se reconnaissent dans un même art du rire et de la dérision. En rendant hommage à chacun d’eux, Dahl compose aussi un autoportrait collectif du journal : irrévérencieux, fraternel, joyeusement insolent.
Enfin, l’article prend valeur de document historique. Dans un pays frappé par la crise mondiale, où la montée des extrêmes commence à inquiéter, le Canard choisit de répondre non par la peur, mais par le rire. Cette parodie de campagne électorale devient un manifeste implicite : celui d’un journal sans candidat, mais avec des convictions, prêt à défendre l’esprit critique quand la politique s’enlise.





