N° 828 du Canard Enchaîné – 11 Mai 1932
N° 828 du Canard Enchaîné – 11 Mai 1932
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Vive Tar…oh ! pardon ! Vive Herriot !
Mai 1932 : la gauche triomphe, la droite panse ses plaies. Dans Le Canard enchaîné, André Dahl enterre les députés battus avec une ironie cruelle — tandis que Schneider fait observer « une minute de silence au Creusot ». Mais le journal salue aussi le retour de Georges Mandel, laïc flamboyant croqué par Guilac en héros républicain. Entre rires et désillusion, le Canard peint une République qui ne sait plus si elle fête une victoire ou un enterrement.
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11 mai 1932 : André Dahl enterre les députés battus et salue, avec sarcasme, la victoire de Mandel
L’édition du Canard enchaîné du 11 mai 1932 respire un parfum de lendemain d’élections : la France vient de renouveler sa Chambre des députés, et les urnes ont sanctionné le gouvernement Tardieu. La gauche revient aux affaires, Herriot prépare sa coalition, mais le Canard n’a pas le cœur à la gravité. Sous la plume d’André Dahl, il préfère dresser un tableau d’après-bataille où les vaincus ravalent leur fierté et les vainqueurs savourent leur revanche. Le ton, ironique et désenchanté, traduit l’esprit d’une époque où la comédie parlementaire tient lieu de deuil national.
L’article, « Qu’allez-vous devenir ? », se présente comme une tournée d’adieux. Dahl s’adresse aux « illustres députés sortis » comme un reporter compatissant, mais c’est une nécrologie déguisée : il enterre avec élégance les notables battus, ces figures que la Troisième République usée promène depuis trop longtemps de ministère en commission. Les noms défilent : Auguste Sabatier, Jean Piet, M. Denoësse, Puech ou Le Corbellier. Tous sont caricaturés dans une même posture : celle de l’homme public soudain privé d’audience, qui ne sait plus quoi faire de ses discours. L’un « songe à reprendre la boucherie de son père », un autre « attend qu’on lui confie un ministère du chômage », un troisième médite sur sa défaite « un verre à la main au concours hippique ». Dahl a l’art de la pique polie : chaque phrase sonne comme une épitaphe.
À travers cette galerie de portraits, c’est toute la France parlementaire qui défile, vacillante. Le Canard ne pleure pas la chute des députés, il la tourne en dérision : ces messieurs « tombent avec la mine du dimanche soir », tandis que les ministres battus songent déjà à leur reconversion dans le privé. La politique, dans cette satire, n’est plus qu’un métier parmi d’autres, où l’on se recycle en attaché de presse, en courtier ou en guide de voyages. Le comique de répétition – ces hommes qui cherchent désespérément un poste – devient une dénonciation du clientélisme : sous la bonhomie du style, Dahl règle son compte à une classe politique qui ne vit que de strapontins.
Mais la charge la plus mordante se cache dans la note finale : « Une minute de silence au Creusot ». En quelques lignes, l'auteur transforme la défaite électorale en scène d’enterrement industriel. « À la demande de M. Schneider, une minute de silence a été observée au Creusot en signe de deuil pour les résultats des élections. » Le trait est d’une ironie noire : les Schneider, patrons des aciéries, piliers de l’industrie d’armement et mécènes de la droite conservatrice, pleurent leurs députés comme on pleure des actions tombées en Bourse. L'auteur les imagine, compassés, devant leurs hauts fourneaux éteints, observant « le silence des locomotives, des marteaux et des caisses de fonte ». Derrière le sarcasme, une idée claire : la défaite de la droite, c’est aussi celle du capital industriel qui l’alimentait.
Le reste de la page prend alors un ton jubilatoire. Le billet « Vive Mandel ! » salue la victoire du jeune Georges Mandel à Bordeaux contre le clérical abbé Bergey. Mandel, protégé de Clemenceau, incarnation du républicanisme laïque et intransigeant, devient ici l’emblème d’une génération que le Canard veut croire encore sincère. L'auteur le fait parler avec un mélange d’ironie et d’admiration : « J’ai plus fait de mal aux curés en vingt ans de laïcité qu’eux ne pourront me rendre en une vie. » Mandel s’y montre bravache, presque cabotin, mais c’est le seul personnage qui échappe à la caricature. L’article, suivi d’un dessin de Guilac montrant Mandel salué par le “syndicat des caricaturistes”, illustre cette double lecture : derrière la moquerie, un hommage. Dans le flot des politiciens défaits, Mandel symbolise encore une République debout.
En lisant cette rubrique "Dernière heure", on sent déjà poindre la mélancolie : la victoire du Cartel des gauches n’apportera qu’un répit. Dans deux ans, les mêmes figures reviendront au pouvoir. Dahl, lucide et railleur, le pressent. Derrière son humour, il écrit un constat amer : la France change de majorité, pas de mœurs. Les « députés sortis » reviendront par la porte tournante, et les Schneider rallumeront bientôt leurs forges. Le rire du Canard est celui d’un observateur qui connaît la mécanique du désenchantement.





