N° 852 du Canard Enchaîné – 26 Octobre 1932
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Une nouvelle affaire de faux est découverte
26 octobre 1932 : un certain Dupont-Durand tente de discréditer Herriot et les radicaux avec de faux manifestes électoraux. Dans Le Canard enchaîné, Pierre Bénard démonte la supercherie avec un humour chirurgical. Entre fausses promesses et vraies mystifications, il signe un portrait au vitriol d’une République qui ne sait plus distinguer le mensonge du discours officiel.
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26 octobre 1932 : faux électoraux, vrais scandales — quand le Canard démonte les mystifications politiques
À la une du Canard enchaîné du 26 octobre 1932, Pierre Bénard signe un texte au vitriol : « Une nouvelle affaire de faux est découverte ». Dans un climat saturé de rumeurs, de corruption et de crises ministérielles, il s’en prend, avec son ironie méthodique, à une pseudo-affaire montée pour discréditer le gouvernement Herriot. En deux pages, Bénard transforme un fait divers politique en parabole de la bêtise et du cynisme de la Troisième République — une France où les faux circulent plus vite que les idées, et où la calomnie devient une arme électorale.
Un faux plus vrai que nature
Le ton est donné dès l’ouverture : « Le scandale créé autour de l’Aéropostale n’est pas encore éclairci que voici qu’éclate une nouvelle affaire de faux. » L’époque est à la crise de confiance. Depuis l’effondrement financier de 1931, les affaires se succèdent : l’affaire Oustric, la faillite de l’Aéropostale, les soupçons sur les liens entre banques et ministres… Dans ce contexte, l’apparition d’un mystérieux « Dupont-Durand » — homme « simplement mais correctement habillé » — qui distribue de faux manifestes signés Herriot, Painlevé et Paul-Boncour, ne surprend plus grand monde. Le personnage, sorte de mythomane militant, se fait passer pour un messie de la vérité politique : il exhibe des documents censés prouver que les radicaux ont trahi leurs promesses en refusant le désarmement et en protégeant les « scandaleuses fortunes ».
Bénard déroule le scénario avec la rigueur d’un roman policier : de couloirs de ministères en salles de rédaction, Dupont-Durand répand ses « professions de foi », copieusement truffées de formules creuses et moralisatrices — « Assez abusé du petit épargnant ! », « La première égalité est celle devant l’impôt ! ». Le Canard souligne l’ironie : ces faux sont si convenablement républicains qu’ils en deviennent crédibles. Tout y est — la démagogie, le pathos, la prose de congrès. « Il présentait des documents… rédigés au nom de Herriot, Painlevé et Paul-Boncour », note Bénard, avant de préciser que l’homme garantissait « leur authenticité » avec un aplomb confondant.
Mais la mécanique du faux s’effondre : une instruction confiée au magistrat Brack établit que tous les documents étaient apocryphes, et que leur auteur était un déséquilibré. Pour le prouver, Bénard pousse la satire jusqu’à la fausse expertise psychiatrique : Dupont-Durand souffrirait de « lésions dues au bourrage de crâne » et d’un « penchant anormal à la crédulité ». L’accumulation de diagnostics grotesques traduit un constat plus large : la France de 1932 est malade de sa propre naïveté politique.
Le faux comme symptôme de la République
Sous la farce, Bénard vise juste. Cette « affaire de faux » est une parabole du désordre moral et médiatique qui règne dans la Troisième République finissante. Le gouvernement Herriot, revenu au pouvoir après la victoire du Cartel des gauches en 1932, fait face à une droite revancharde, à une presse à scandales et à des attaques permanentes contre la probité des ministres. Les radicaux, accusés d’avoir trahi la laïcité et la petite épargne, deviennent la cible idéale.
Bénard, lui, s’amuse du double langage politique : les faux pamphlets de Dupont-Durand ne font que pasticher les authentiques discours des candidats. Dans cette France épuisée par la crise, où la parole publique est discréditée, la parodie rejoint la réalité. Le mensonge circule si bien qu’il ne choque plus personne. C’est le triomphe du soupçon, et déjà, la promesse d’un populisme à venir.
En bon moraliste ironique, Bénard conclut sans illusions : « Les élections du 8 mai n’ont pas été une escroquerie… il est maintenant prouvé qu’elles ont été simplement une vaste et un peu grossière mystification. » La dernière phrase retourne le rire contre le régime lui-même : les faux ne sont pas l’œuvre d’un illuminé, mais le produit d’une démocratie malade de ses compromis. Tout le monde ment un peu, et tout le monde s’en arrange.
Bénard, ou l’art du faux dévoilé
Ce texte concentre l’art de Pierre Bénard, plume incisive du Canard : le ton faussement neutre du journaliste judiciaire, la précision du chroniqueur politique et la cruauté du moraliste. Derrière le rire, il rappelle que la Troisième République a fait de la mystification une habitude. En 1932, alors que le monde s’enfonce dans la crise et que l’Allemagne bascule dans la dictature, la France s’enlise dans les faux débats. Les vrais dangers — économiques, sociaux, militaires — sont relégués derrière les faux scandales.
Bénard ne s’en contente pas : il fait du faux un révélateur du vrai. Dupont-Durand n’est pas seulement un malade, c’est une métaphore : celle d’un peuple abusé, persuadé de croire à tout pourvu qu’on le flatte. Et le Canard, fidèle à son credo, choisit de rire plutôt que de pleurer — un rire qui, en octobre 1932, sonne déjà comme une sonnette d’alarme.





