N° 855 du Canard Enchaîné – 16 Novembre 1932
N° 855 du Canard Enchaîné – 16 Novembre 1932
59,00 €
En stock
L’élection de Roosevelt
16 novembre 1932 : Roosevelt élu, les gangsters reconvertis au trafic de Perrier, Paul Reynaud émerveillé par la taille des Américains, et La Fouchardière en conversation imaginaire avec le futur président. Sous le rire, Le Canard enchaîné dresse un portrait lucide du monde en crise : la fin de la prohibition, le début du New Deal, et une Europe qui regarde l’Amérique comme un miroir déformant d’elle-même.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
16 novembre 1932 : Roosevelt, les gangsters et les “humides” — quand le Canard regarde l’Amérique se réveiller
Le Canard enchaîné du 16 novembre 1932 réagit à chaud à l’élection de Franklin Delano Roosevelt, nouveau président des États-Unis. Trois signatures de prestige — Pierre Bénard, Roger Salardenne et Georges de La Fouchardière — livrent tour à tour un tableau satirique et lucide de l’Amérique en mutation. Au croisement du comique et du politique, ces chroniques disent beaucoup : le rire du Canard accompagne ici la fin d’une époque — celle de la prohibition, des gangsters et de la crise morale — mais aussi la persistance d’un doute, celui d’un monde capitaliste en quête de salut.
Chez Bénard, la fin du gin et l’aube du Perrier
Dans « L’élection de M. Roosevelt modifie la vie américaine », Pierre Bénard s’en donne à cœur joie : la victoire du candidat démocrate, dit-il, « sonne le glas de la prohibition ». L’Amérique, après treize ans d’hypocrisie et de contrebande, s’apprête à redevenir “humide” — c’est-à-dire à légaliser l’alcool. Mais Bénard, loin de se réjouir béatement, fait du sujet un prétexte à satire. Il imagine les gangsters, désemparés par la fin du marché noir, se reconvertissant dans le trafic… des eaux minérales. Al Capone trafiquant du Vichy et du Perrier ! L’image est irrésistible, et d’une ironie parfaite : « On se réunira dans les speakeasies pour déguster en fraude de l’eau Perrier », écrit-il.
Sous la drôlerie, le propos est acéré. La prohibition, née en 1920 du puritanisme protestant, n’aura produit que ce qu’elle prétendait combattre : la corruption, la criminalité, la déchéance morale. En la supprimant, Roosevelt hérite d’une société où la loi et la morale ont perdu sens. Bénard saisit le paradoxe américain — une démocratie qui interdit au nom de la vertu, et qui s’enivre au nom de la liberté. Le gag final — « La Bourse ou l’Évian ! » — résume à lui seul la vision du Canard : dans l’Amérique du New Deal à venir, les trafics changeront de forme, mais pas de nature. Le capitalisme, même hydraté, reste le même.
Chez Salardenne, l’Amérique vue par Paul Reynaud : une farce franco-américaine
À côté, Roger Salardenne livre dans « Les impressions de M. Paul Reynaud » un chef-d’œuvre d’ironie feutrée. Le futur ministre de la Défense (et bientôt héros malheureux de 1940) revient de voyage aux États-Unis, interrogé à la gare Saint-Lazare par le Canard. Le ton imite les entretiens de salon : « Ce qui m’a le plus frappé ? La haute taille des Américains. J’y ai vu un nain qui était presque aussi grand que moi ! » Tout est dit : Reynaud, bourgeois satisfait, ne comprend rien à l’Amérique qu’il a visitée.
Quand il commente l’élection de Roosevelt, il se contente d’un cliché : « C’est un grand ami de la France. Et puis, c’est un démocrate. » Quant à la fin de la prohibition, il s’en amuse comme d’un détail mondain : « On ne cesse pas de boire du jour au lendemain. » L’humour de Salardenne naît de ce contraste entre la gravité des temps — 13 millions de chômeurs aux États-Unis, la Grande Dépression à son paroxysme — et la vacuité des politiciens français. L’ancien ministre, plus soucieux de son image que du réel, parle comme un touriste ébloui par les gratte-ciel.
À la fin, le journaliste pousse la moquerie jusqu’à la pantomime : M. Reynaud, « accompagné de sa fille », refuse de poser pour les photographes, tandis qu’un petit garçon se place devant lui pour le cacher. La scène, d’une absurdité délicieuse, résume la myopie d’une classe politique française incapable de voir ce qui vient : la montée des populismes, la faillite des élites, la recomposition du monde.
Chez La Fouchardière, Roosevelt en conversation : le cynisme universel
Enfin, en page 3, Georges de La Fouchardière signe une « Chronique de l’œil de bouif » fictive et irrésistible : un entretien imaginaire avec Roosevelt lui-même. Le président-élu, affable, y répond à des questions absurdes sur les gangsters, la Bourse, la politique étrangère, et même la Saint-Armistice. L’Américain, sous sa plume, devient un miroir déformant du Français : optimiste, rusé, prêt à tout promettre. « Vous avez vu le Saint-Armistice ? – Non, mais je le ferai faire ! »
La Fouchardière, qui avait fait du Canard des années 1920 un chef-d’œuvre d’ironie antimilitariste, retrouve ici sa verve mordante : il tourne en dérision la démocratie du spectacle, où les dirigeants posent plus qu’ils ne gouvernent. Roosevelt, qui promettait au peuple américain un “New Deal” — un nouveau contrat social — est traité comme un camelot du rêve. Sous le rire perce une vraie inquiétude : la foi en l’Amérique, naguère modèle de modernité, s’effrite. Même à distance, le Canard sent que la crise de 1929 a transformé la politique en théâtre.
Un trio au diapason de la crise mondiale
Réunis dans le même numéro, ces trois textes composent une fresque satirique saisissante. Bénard peint la mutation économique, Salardenne ridiculise la cécité politique, La Fouchardière dénonce la comédie démocratique. Tous trois, à leur manière, annoncent l’effondrement des illusions libérales : en France comme aux États-Unis, la crise de 1929 a cassé les certitudes. En novembre 1932, Roosevelt n’est pas encore le président du New Deal, mais déjà le Canard sent qu’il devra inventer une autre Amérique — et que l’Europe, elle, continue de rire pour ne pas pleurer.





