N° 860 du Canard Enchaîné – 21 Décembre 1932
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Ce n’est pas du neuf… C’est un ressemelage !
21 décembre 1932 : Pierre Bénard se moque du tout nouveau gouvernement Paul-Boncour et de sa promesse de « faire du neuf ». Sous sa plume, le discours ministériel devient une parodie de réchauffé politique, tandis que Pedro illustre la scène : les mêmes têtes, les mêmes valises, les mêmes illusions. Le Canard rit de cette Troisième République en costume de rechange — floue, verbeuse, et déjà usée.
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21 décembre 1932 : Pierre Bénard épingle le gouvernement Paul-Boncour — chronique d’un éternel recommencement
À la une du Canard enchaîné du 21 décembre 1932, Pierre Bénard s’empare de l’arrivée au pouvoir de Joseph Paul-Boncour avec l’ironie cruelle qui caractérise sa plume. Le dessin de Pedro, placé au-dessus de l’article, en donne le ton : une file de ministres penauds, valise à la main, se pressant devant une Marianne blasée qui soupire — « C’est curieux, j’ai l’impression de les avoir déjà vus quelque part ! ». Légende parfaite d’un éternel retour du même, où les gouvernements changent de tête mais non d’esprit.
Nous sommes à la fin de 1932. Édouard Herriot vient de tomber après six mois d’un ministère empêtré dans la crise financière et les affaires. La France, plongée dans la tourmente économique mondiale depuis 1931, voit se succéder les cabinets à un rythme effréné : dix gouvernements en quatre ans. Dans cette valse des présidents du Conseil, Paul-Boncour, radical-socialiste cultivé, pacifiste sincère, n’est qu’un maillon de plus. Et Bénard, en bon observateur du cirque parlementaire, ne lui pardonne pas d’ajouter au ridicule de la politique la prétention du renouveau.
« Je veux faire quelque chose de neuf » : la rengaine du pouvoir
L’article, intitulé « La déclaration ministérielle », feint de livrer en avant-première le discours que Paul-Boncour doit prononcer devant la Chambre. En réalité, Bénard en écrit une version parodique, pastiche des proclamations solennelles qu’on sert à chaque changement de gouvernement. Le ton est faussement sérieux, l’ironie cinglante : « Lorsque j’ai accepté des mains de M. le président de la République le mandat de former le cabinet, j’ai déclaré : Je veux faire quelque chose de neuf. » Suit une litanie d’excuses et de justifications absurdes : les « circonstances délicates », la « difficulté » de l’entreprise, le besoin de garder « 31 ministres et sous-secrétaires d’État qui faisaient partie de l’ancien ».
Le sarcasme est total : Bénard souligne que le prétendu « renouveau » du cabinet n’est qu’un recyclage des mêmes visages, un ajustement cosmétique. La politique du Cartel des gauches, minée par les querelles d’ego et les arrangements, tourne en rond. En opposant la promesse de nouveauté à la réalité d’un immobilisme institutionnalisé, Bénard fait du discours ministériel une farce : la déclaration n’annonce rien d’autre qu’un remaquillage de l’ancien régime.
Les têtes changent, les postures demeurent
Le texte multiplie les formules assassines : « Ces dix-neuf ont voté avec Herriot le paiement des dettes. Aujourd’hui, ils voteront avec contre. » En une ligne, tout le cynisme parlementaire est résumé : le vote ne répond plus à une conviction, mais à une opportunité. Même ironie lorsqu’il évoque le choix de ministres interchangeables : « On pensera ce qu’on voudra, mais tout au moins, par les magasins, il touche à la nouveauté. » Cette moquerie, qui réduit la politique à une vitrine de grands magasins, résume l’époque : les remaniements servent à entretenir l’illusion du changement, pendant que la France s’enlise.
Bénard épingle aussi le verbiage creux des gouvernants. Paul-Boncour, dans sa caricature, s’attribue un mérite d’homme d’équilibre : « À force d’aller chacun de droite à gauche et de gauche à droite, nous devions fatalement nous rencontrer. » Le trait est d’une justesse mordante : en 1932, le clivage gauche-droite s’émousse dans les couloirs du pouvoir, où tout le monde finit par se rejoindre — autour du partage des portefeuilles et du maintien des habitudes.
Le comique du “renouveau” permanent
Dans sa chute, Bénard pousse l’ironie jusqu’à l’absurde : « Au Guy, j’ai neuf ! » lance Paul-Boncour, confiant le secrétariat d’État à son fidèle Guy La Chambre — clin d’œil à l’expression « du neuf avec du vieux ». Le pastiche vire à la satire d’anthologie : Bénard transforme la langue de bois gouvernementale en galimatias cocasse, révélant sous les grands mots (« programme », « sagesse populaire », « renouveau ») la vacuité d’un régime qui ne sait plus où il va.
À travers ce faux discours, le Canard dresse un constat sévère mais lucide sur la Troisième République finissante : le système parlementaire, miné par la routine et la peur du risque, ne produit plus d’idées, seulement des combinaisons. L’humour du journal — celui de Bénard, mais aussi de Pedro, dont le dessin condense la satire en une seule image — traduit le désenchantement de l’époque : les citoyens reconnaissent dans chaque “nouveau” gouvernement les mêmes têtes, les mêmes discours, les mêmes promesses creuses.
“Un ordre du jour de la Coiffure d’art” : l’arme du ridicule
En encadré, Bénard ajoute une seconde pique : « Un ordre du jour de la Coiffure d’art ». L’annonce parodie les bulletins professionnels pour tourner en ridicule la prétention stylistique du nouveau cabinet : « Après la vogue de la raie Tardieu et de la brosse d’Herriot, on rentre enfin dans la vraie coiffure française, qui est celle du flou. » La métaphore capillaire dit tout : la politique est devenue affaire d’apparence, de coupe et de brillantine. Derrière la blague, un constat social : la France de 1932, frappée par la crise, regarde ses gouvernants se coiffer pour la photo pendant que le chômage et la misère s’étendent.
Ainsi, dans un pays où la démocratie tourne à la comédie, Le Canard joue son rôle : rappeler que sous les postiches et les serments, le pouvoir n’a qu’une constante — la peur du changement réel.





