N° 865 du Canard Enchaîné – 25 Janvier 1933
N° 865 du Canard Enchaîné – 25 Janvier 1933
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25 janvier 1933 : Quand Bénard et Salardenne flinguent la France des gangsters en col blanc
25 janvier 1933 : deux plumes du Canard tirent dans le tas. En une, Pierre Bénard imagine Al Capone débarquant en France pour apprendre le crime auprès des politiciens. En page 3, Roger Salardenne invente une loi obligeant à demander le droit… de ne pas être décoré. Gangsters, banquiers, ministres : même école, même racket. Dans la République des rubans rouges, la combine est reine.
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25 janvier 1933 : Quand Bénard et Salardenne flinguent la France des gangsters en col blanc
Dans son édition du 25 janvier 1933, Le Canard enchaîné offre un double tir nourri : en une, Pierre Bénard imagine une invasion de gangsters américains venus chercher fortune en France ; en page 3, Roger Salardenne raille les légionnaires malgré eux dans un faux « projet de loi » rendant obligatoire la demande de non-décoration. Deux textes jumeaux, deux styles mordants, une même cible : la corruption tranquille de la Troisième République et l’indulgence satisfaite d’une société où le crime institutionnel a remplacé la mitraillette.
Les gangsters débarquent... mais trouvent la place prise
Sous le titre « Des gangsters débarquent en France — mais il n’y a plus de place chez nous », Bénard orchestre un pastiche irrésistible. Al Capone junior et Bill Scarface, las des rafales de Chicago, tentent leur chance sur le Vieux Continent. Ils débarquent au Havre, valises pleines de mitraillettes et d’optimisme. Las : à peine franchie la douane, la France leur prouve qu’elle n’a rien à leur envier en matière d’escroquerie, de magouille et de sang-froid.
Chaque rencontre devient une leçon de cynisme à la française. D’abord un ancien directeur de banque nationale explique calmement comment il a « encaissé plus d’un milliard sans faire de bruit », sous prétexte de liquidation bancaire. Puis un politicien leur enseigne l’art de s’enrichir sans tirer un coup de feu. Enfin, un « haut personnage » leur révèle le sommet du crime institutionnalisé : « Chez nous, les enfants, on les a laissés grandir jusqu’à vingt ans. Puis, un beau jour, on a arraché leurs parents par centaines de mille et on les a fait massacrer. Alors ? »
La chute est vertigineuse : les deux gangsters, soudain minuscules, n’ont plus qu’à demander… la Légion d’honneur. La boucle est bouclée : la médaille remplace le colt, la fraude remplace le sang, et l’impunité devient une décoration officielle.
Dans ce récit faussement burlesque, Bénard dresse le portrait d’une France où la criminalité la plus prospère ne s’affiche pas dans les bas-fonds mais dans les ministères, les banques et les salons. Derrière la farce, la colère perce : celle d’un journaliste qui voit la République de 1933 gangrenée par les scandales financiers, les faillites frauduleuses et les ministres compromis, d’Oustric à Stavisky. Dans ce pays-là, Capone n’a rien à apprendre — il ferait figure d’amateur.
Une satire du capitalisme moral et décoré
En page 3, Roger Salardenne prolonge la charge en s’attaquant à un autre symbole de la décadence nationale : la Légion d’honneur. Son article, « Il faudra désormais faire une demande pour ne pas avoir la Légion d’honneur », feint de relater un nouveau projet de loi imaginé par des parlementaires zélés. Dans un retournement délicieux, les citoyens devront désormais accomplir une procédure administrative pour refuser la médaille ! Demande écrite, témoins patentés, extrait de casier judiciaire, tout y passe.
La mécanique administrative tourne à la farce kafkaïenne, mais le message est limpide : dans la France de 1933, l’honneur ne se gagne plus, il se distribue à la chaîne, et la distinction suprême a perdu tout sens. L’allusion est transparente : elle vise l’affaire Pierre Scize, remercié du Canard deux semaines plus tôt pour avoir accepté cette même croix. Chez Salardenne, le ridicule devient arme morale : la satire administrative rejoint la critique politique.
Il y a, dans ces deux textes, une cohérence profonde. Bénard fustige la criminalité d’en haut, Salardenne ridiculise l’auto-célébration des élites : deux faces d’une même corruption. En janvier 1933, la Troisième République tangue sous les affaires, la crise économique frappe les classes populaires, et les parlementaires se décorent entre eux. Le Canard, fidèle à sa ligne antimilitariste et anticléricale, ajoute désormais un troisième front : celui de la morale publique.
Un humour de désespoir lucide
Le génie de ces textes réside dans leur ironie désespérée. Bénard ne décrit pas une France en voie de pourrissement — il décrit un système déjà pourri, où le crime n’a même plus besoin de se cacher. Son dialogue entre gangsters et notables sonne comme une préfiguration du “tout est permis” cynique des années Stavisky, qui éclatera quelques mois plus tard.
Quant à Salardenne, il s’amuse d’une bureaucratie qui transforme même la vertu en formulaire. L’idée d’un « certificat de non-décoration » pourrait sortir d’un sketch, mais dans la France de 1933, elle a des accents prophétiques. Le rire ici n’adoucit pas le propos — il le rend plus tranchant.
Une République de la combine
Ce numéro du Canard de janvier 1933 compose ainsi une fresque féroce de la Troisième République finissante. Entre la farce financière et la satire honorifique, on y lit une même détestation : celle du mensonge social. Tandis qu’à Berlin, Hitler s’apprête à prendre le pouvoir, en France, les élites s’accrochent à leurs hochets, leurs médailles et leurs combines.
En une et en page 3, Bénard et Salardenne rappellent que la corruption n’a pas toujours le visage du bandit : elle a souvent celui du notable décoré. Et que, parfois, les gangsters les plus redoutables portent le ruban rouge à la boutonnière.





