N° 915 du Canard Enchaîné – 10 Janvier 1934
N° 915 du Canard Enchaîné – 10 Janvier 1934
159,00 €
En stock
Une Voix a parlé… une voix s’est tue
Le 10 janvier 1934, Le Canard enchaîné publie l’un des titres les plus célèbres de l’histoire de la presse :
“Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant.”
En une phrase absurde, tout est dit : le mensonge d’État, la corruption, l’effondrement moral du régime.
Sous l’humour noir, le journal signe l’acte de décès d’une Troisième République en décomposition.
Un chef-d’œuvre d’ironie glacée — et le prélude aux émeutes du 6 février.
Déchirure avec manque du coin haut à droite de la première feuille du journal
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
« Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant » : l’ironie du crime d’État
Le 10 janvier 1934, la France apprend la mort de Serge Alexandre Stavisky, l’escroc mondain au cœur d’un vaste scandale politico-financier. Le gouvernement assure qu’il s’est “suicidé” à Chamonix d’un “coup de revolver tiré à bout portant”.
Le Canard enchaîné, en titrant exactement cette phrase, en fait aussitôt le symbole d’une République à l’agonie, où la vérité meurt étouffée sous la version officielle.
C’est plus qu’un titre : c’est un réquisitoire, un manifeste, un éclat de rire glacé dans une France qui ne croit plus à rien.
Le “suicide à bout portant” : une formule pour l’Histoire
En sept mots, Le Canard a inventé la synthèse parfaite du mensonge d’État.
L’absurdité de la formule saute aux yeux : comment peut-on “se suicider d’un coup de revolver qui vous a été tiré à bout portant” ?
Le journal ne commente pas, il constate — et laisse la phrase s’effondrer sur elle-même.
Ce procédé, d’une efficacité redoutable, restera dans la légende de la presse satirique : un titre qui dit tout sans ajouter un mot, laissant l’ironie dissoudre la version officielle comme un acide lent.
Derrière le sarcasme, la conviction du Canard est claire : Stavisky n’a pas “mis fin à ses jours”, il a été “fait taire”.
L’homme détenait trop de secrets sur ses protecteurs politiques, ses relais au Parlement, ses amitiés ministérielles et préfectorales. Son “suicide” ressemble à une exécution.
Le “scandale des scandales”
Pour comprendre la charge du Canard, il faut replacer l’affaire dans son contexte.
Depuis décembre 1933, la presse révèle les dessous d’un trafic d’obligations frauduleuses lié au Crédit municipal de Bayonne.
Au centre : Stavisky, escroc élégant, bien introduit, dont les protections s’étendent jusqu’aux bancs du gouvernement.
Lorsqu’on découvre sa mort, les Français comprennent aussitôt que l’affaire dépasse le simple fait divers : elle met à nu le système de corruption généralisée de la Troisième République.
Le Canard enchaîné suit l’affaire depuis plusieurs semaines. Il s’est moqué des “réhabilitations” d’hommes compromis (Tardieu, Caillaux…), des “lampistes” sacrifiés, de la “mare” politique boueuse où pataugent les ministres.
Avec la mort de Stavisky, la farce devient tragédie : le pouvoir a cessé de dissimuler sa pourriture, il la justifie.
La version officielle mise en pièces
Sous le grand titre, les rubriques alignées dans la colonne centrale — “Comment Stavisky s’est suicidé”, “Une mise au point”, “Des dates…” — parodient le ton bureaucratique des communiqués.
Le Canard cite sans commentaire la déclaration du ministre de la Justice Camille Chautemps :
“La justice suivra son cours avec une inflexible rigueur.”
Puis, en parallèle, le journal rappelle les promesses similaires lors des précédents scandales : Hanau, Oustric… et maintenant Stavisky.
Trois affaires, trois ministères, trois fois la même phrase.
Le message est limpide : la République a remplacé la justice par le communiqué.
Même le petit encadré “Un honnête homme” (avec le dessin d’un canard mélancolique) pousse l’ironie jusqu’à la litote :
“Si l’on comprend bien les termes du communiqué officiel, M. Stavisky quitte ce monde en homme honnête.”
Le bain des puissants
Tout en bas de la page, le dessin signé Guilac — “Tous dans le bain” — parachève la satire.
La scène représente un bain collectif, mélange de ministres, de journalistes, de financiers, tous nus, pataugeant dans la même eau trouble.
La légende précise :
“Cette photographie a été prise un jour du mois dernier où, à l’invitation de Sacha Stavisky, de nombreuses personnalités parisiennes se pressaient dans la fameuse piscine du Claridge.”
Le symbole est saisissant : la République est dans le bain — littéralement.
Ce dessin, qui fit scandale, condense le propos de tout le numéro : le régime entier est éclaboussé, tout le monde trempe dans la combine.
Le rire avant la tempête
Quand ce numéro paraît, la colère gronde déjà dans la rue.
Le 7 janvier, Stavisky est retrouvé mort. Le 9, la presse parle d’assassinat. Le 10, Le Canard publie sa une historique. Le 11, la police tire sur des manifestants à Paris.
Un mois plus tard, le 6 février 1934, la droite et les ligues fascistes tenteront de renverser la République lors des émeutes de la place de la Concorde.
Mais ce que la violence ne dit pas, Le Canard l’avait déjà formulé par le rire :
le scandale n’est plus une exception — il est le mode de gouvernement.
Le journal, en une seule phrase absurde, résume le désastre moral d’un régime où les morts parlent mieux que les vivants.
Héritage d’un titre immortel
“Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant” est devenu, depuis, le modèle du titre satirique parfait : il ne juge pas, il expose.
La logique officielle, livrée telle quelle, s’effondre sous son propre poids.
C’est l’acte de naissance d’un humour politique moderne — celui qui révèle le crime sans en avoir besoin d’accuser.
En ce 10 janvier 1934, Le Canard signe sa plus belle nécrologie : celle de la crédibilité d’un pouvoir corrompu.
Et derrière le rire, un frisson : la République, cette fois, est bien blessée à bout portant.





