N° 923 du Canard Enchaîné – 7 Mars 1934
N° 923 du Canard Enchaîné – 7 Mars 1934
59,00 €
En stock
Taisons-nous… Maffions-nous
Un duel passionnant entre monsieur d’Uhalt et monsieur Ordonneau – Monsieur Léon Daudet dément – la chambre perfectionne son matériel – l’été prochain dans les villes d’eaux : la saison à bain-les-bains s’annonce particulièrement brillante – la plus belle lettre d’amour, par Pierre Bénard – De Paris à menton : le carnet de notes de monsieur Jean Chiappe – documentaire : le monstre de Querqueville – notre grande enquête sur la gloire – Les contes du canard par R. Tréno
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
7 mars 1934 : Quand la justice tourne au steeple-chase : d’Uhalt contre Ordonneau dans l’arène Stavisky
En une du Canard du 7 mars 1934, R. Tréno transforme l’instruction Stavisky en course hippique. Le juge bayonnais d’Uhalt et le juge parisien Ordonneau rivalisent d’ingéniosité grotesque pour engranger inculpations, mandats et « clients ». Soirées dansantes à la Santé, maisons rebaptisées « Villa Chagrin », publicités imaginaires et cartes de visite promettant des non-lieu : la satire est féroce. À travers ce duel burlesque, c’est une justice enivrée de pression politique que dénonce le Canard, dans une France encore traumatisée par les émeutes du 6 février.
Au cœur de l’hiver 1934, tandis que la France chancelle sous les retombées de l’affaire Stavisky, des émeutes du 6 février et de la chute du gouvernement Daladier, un spectacle inattendu se joue dans les coulisses de la justice : une compétition d’instruction aussi grotesque que révélatrice du climat politique. L’article de Tréno, publié en première page du Canard enchaîné du 7 mars 1934, en offre une caricature d’une précision féroce.
Depuis janvier, l’opinion réclame des coupables. Les ligues hurlent à la pourriture parlementaire. La droite parlementaire dénonce un « système » où policiers, ministres et affairistes seraient mêlés. La gauche quant à elle s’alarme d’un emballement réactionnaire. Dans ce tumulte, les juges d’instruction deviennent des champions médiatiques — malgré eux ou, parfois, avec un zèle apparent. Le pouvoir attend des arrestations. La presse réclame des aveux. Le public veut du sang. Et la justice se transforme en terrain de steeple-chase.
C’est ainsi que Tréno met en scène un duel ubuesque entre le juge de Bayonne, M. d’Uhalt, et le juge parisien, M. Ordonneau. Tous deux sont chargés d’une partie de la tentaculaire affaire Stavisky, mais Tréno les présente comme deux jockeys survoltés cherchant à décrocher le trophée suprême : le plus grand nombre d’inculpations.
La comparaison animalière est immédiate : d’Uhalt serait la tortue, Ordonneau le lièvre. Le premier a commencé l’instruction le plus tôt, mais avance lentement, « très lentement ». Le second, au contraire, surgit comme un sprinter prêt à avaler les obstacles. La métaphore est typiquement « canardesque » : derrière la drôlerie, une critique au vitriol du cirque judiciaire né de la pression politique.
Ce duel ridicule se déroule sur un fond autrement dramatique. Depuis le 10 janvier, on a retrouvé le corps d’Alexandre Stavisky — officiellement « suicidé d’un coup de revolver tiré à bout portant ». L’expression est encore dans toutes les têtes. Le scandale, lui, n’est pas refermé : banques fantômes, chèques frauduleux, protecteurs politiques et financiers, complicités suspectées. La panique politique est telle qu’on en vient à mesurer la compétence d’un magistrat au nombre de mandats d’arrêt qu’il parvient à lancer en une semaine.
Là-dessus, Tréno brode avec jubilation. D’Uhalt, pour se relancer dans la course, envisage de renforcer sa stratégie d’instruction par des moyens quasi militaires : agrandir la prison de Bayonne, bétonner l’appartement de Stavisky, transformer sa demeure en « Villa Chagrin ». Il pousserait même l’absurde jusqu’à aménager sa propre maison en « Villa Bonnaure », espérant convaincre des inculpés hésitants de venir se livrer dans un cadre plus engageant.
Mais Ordonneau ne l’entend pas ainsi : pour attirer davantage d’inculpés, il organise à la Santé une « succursale du P.M.U. » et même des « soirées dansantes », comme si l’instruction se jouait sur la séduction festive plutôt que sur le droit. Tréno pousse l’ironie jusqu’à inventer une publicité parodique :
« Si vous avez le talon à l’estomac, venez vous mettre à table à Bayonne ».
Ordonneau réplique : « Oui... mais Ordonneau cuisine mieux ».
Le procédé est brillant : Tréno applique aux juges le langage du commerce, du cabaret et du marché aux bestiaux. La justice n’est plus un pouvoir, mais un stand où l’on attire le client. La caricature révèle la déchéance d’un système soumis au chantage de l’opinion, où les fonctionnaires redoublent d’activisme pour ne pas paraître laxistes — ou complices.
Et puis, détail mordant : on prétend que M. Ordonneau glisserait discrètement sa carte de visite aux visiteurs influents, avec la mention :
« ORDONNEAU – de non-lieu »,
comme on distribuerait un encart publicitaire.
Le Canard, fidèle à son rôle de satiriste des institutions, dénonce ainsi une justice en perte de sens, happée par la politique, obsédée de communication, soucieuse d’image plus que de vérité. Dans un pays proche de l’implosion — les émeutes du 6 février ont failli basculer en tentative de coup d’État — cette scène de foire judiciaire relève du symptôme : partout, chacun joue sa partition pour survivre.
Le dernier trait porte le coup final :
« Il apparaît que ce sera M. Ordonneau, et que, lundi, M. d’Uhalt devra mettre les pouces... et rendre les poucettes. »
La justice, réduite à un concours de force, est écrasée par sa propre caricature.
De Chamonix à la Santé : comment le “suicide à bout portant” a fabriqué la justice-spectacle
L’affaire Stavisky bascule brutalement à la Une du 10 janvier 1934, lorsque Le Canard publie son titre resté légendaire :
« Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant ».
En quelques mots, l’hebdomadaire ridiculise la version officielle et met en lumière l’embarras du gouvernement Chautemps, la fébrilité de la police et l’odeur de soufre qui entoure la mort du célèbre escroc.
Ce titre inaugure une période où l’État semble mentir plus vite qu’il n’explique, où chaque communiqué ajoute à la suspicion. La crise enfle, les journaux s’enflamment, les ligues grondent — jusqu’à éclater en violences le 6 février.
Dans cette atmosphère électrique, un autre pouvoir se retrouve au centre de la scène : la justice, accusée d’être lente, docile, voire complice.
Pour rattraper son image et « prouver » sa fermeté, elle se lance alors dans une surenchère spectaculaire.
C’est ce climat qui nourrit la scène burlesque décrite par Tréno dans l’édition du 7 mars 1934 : un steeple-chase judiciaire entre les juges d’Uhalt et Ordonneau, chacun cherchant à battre l’autre en nombre d’inculpations, de mandats d’arrêt ou d’effets d’annonce.
L’un installe une « succursale » du P.M.U. à la Santé.
L’autre fait publier des réclames et promet des « retournements » fulgurants.
Derrière l’humour, le message est limpide :
le mensonge de janvier a engendré, en mars, une justice affolée, devenue marionnette de l’opinion plutôt qu’arbitre du droit.
Entre Chamonix et la Santé, la même mécanique est à l’œuvre : la panique, la communication, et une justice qui, pour se racheter, devient spectacle.





