N° 924 du Canard Enchaîné – 14 Mars 1934
N° 924 du Canard Enchaîné – 14 Mars 1934
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Tu grimpes… à l’acacia !
Le complot du » cadran » : aveux spontanés, par Pierre Bénard – Le commissaire Mandel a dû interroger le témoin Mandel – Pour diminuer le déficit de trésorerie, par Jules Rivet – Une nouvelle victime de la mafia – La nouvelle disparition de Costes a passé inaperçu – Les grandes questions du jour : Un brillant exposé de monsieur Franklin bouillon – Vers la lumière totale : Notre collaborateur R.Tréno dépose devant la commission d’enquête
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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14 mars 1934 : quand Pierre Bénard tourne en dérision un “complot”… au Café du Cadran, annexe du Canard
Mars 1934 : après le 6 février, la France voit des complots partout. Pierre Bénard s’empare alors d’une accusation délirante — un “complot” dans un café parisien — et révèle l’ironie du siècle : le “Cadran” n’était autre que l’annexe de la rédaction du Canard. Les “conjurés” ? Les journalistes eux-mêmes, en train de préparer leurs articles. En feignant l’aveu, Bénard ridiculise la paranoïa d’un pouvoir qui transforme un bistrot de plumes en cellule insurrectionnelle. Une satire brillante sur un régime qui confond satire et sédition.
Quand Pierre Bénard publie ses “Aveux spontanés” le 14 mars 1934, la France est toujours secouée par la crise Stavisky, les cadavres politiques s’entassent, les ministères sautent, et la commission d’enquête parlementaire cherche désespérément un sens à la tempête.
Dans cette atmosphère électrique, tout fait peur.
Une rumeur, un geste, un rendez-vous : tout peut devenir un “complot”.
C’est dans ce climat que surgit l’accusation la plus grotesque du moment : le “complot de l’Acacia”, un café où auraient eu lieu des conciliabules « subversifs ». L’affaire, titillée par Léon Daudet, amplifiée par Léon Bailby, transformée par la droite en épisode noir de la lutte antifréquentielle, finit par devenir un symbole du délire général.
Bénard, en dramaturge du ridicule, décide de pousser le bouchon plus loin.
Et il avoue.
Oui : il était au complot.
Oui : il était à la fameuse réunion.
Oui : il a vu les conspirateurs.
Mais il avoue surtout… que tout cela n’était qu’un dîner banal dans un café d’habitués, où ne se trouvait rien d’autre qu’un groupe de journalistes du Canard.
Car c’est ici que se joue la seconde couche de satire :
le “Cadran”, lieu où l’on prétend que les comploteurs se réunissaient, est le café-jumelé du journal.
Les rédacteurs y tiennent conférence, y gribouillent des idées, y devisent en riant du pouvoir… et parfois du journal lui-même.
Autrement dit : le Canard se retrouve accusé d’être un foyer insurrectionnel parce que ses plumes prennent un verre au coin de la rue.
Et c’est précisément ce que Bénard retourne en fusée comique :
la paranoïa du régime voit des conspirateurs là où il n’y a que des journalistes en train de refaire la une.
Les « propos subversifs » ?
Des idées d’articles.
Les « agents suspects » ?
Des croquis de Guilac et des correspondants en goguette.
L'« atmosphère enfumée » ?
Le Cadran, tout simplement.
Les « rencontres douteuses » ?
Des pigistes, des auteurs, des camarades de bistrot.
En recontextualisant, le texte de Bénard apparaît comme un chef-d’œuvre d’autodérision contrôlée.
Car le journal sait qu’il est surveillé.
Il sait que le pouvoir le tient pour dangereux.
Il sait qu’après avoir moqué Chiappe, Frot, Tardieu, les banquiers et les ministères, les radicaux comme la droite rêvent d’une revanche.
Alors, Bénard joue à cache-cache avec la police et les paranoïaques :
– Oui, nous complotons.
– Oui, nous conspirons.
– Oui, nous sommes très dangereux.
– Nous complotons…
– …des articles.
Et de là découle tout le dispositif comique du texte :
le regard soupçonneux des “ennemis de la République” convergerait sur un café… qui est littéralement rempli de canards.
Le passage sur l’orage, sur les phrases banales devenues dangereuses, sur les conspirateurs se souhaitant « bonne nuit » en file indienne, prend alors une autre dimension : Bénard montre à quel point les autorités, à force de délire complotiste, finissent par s’inventer elles-mêmes des ennemis imaginaires.
Ce “complot du Cadran” devient ainsi une parabole :
le pouvoir, en 1934, est à ce point fragilisé qu’il se met à croire que la satire est une bombe.
Et qu’un bistrot de journalistes est un cabinet noir.
En évoquant ironiquement sa “faute”, Bénard pointe là un danger bien réel :
quand un régime commence à voir dans les cafés de la presse des foyers insurrectionnels, il n’est plus loin de confondre critique et sédition, opposition et rébellion, humour et menace.
Nous sommes en mars 1934, un mois après les émeutes du 6 février.
Les ligues grondent, la droite hurle à la conspiration, la gauche se déchire, et le Canard sait qu’il marche lui-même sur une corde raide.
Ce texte est donc double :
– un gag irrésistible ;
– un avertissement politique.
Et surtout un miroir tendu :
le vrai complot, c’est la peur.





