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La Mare aux Canards

Six coups de bec dans la vase
10 septembre 1919

Quand le Canard croquait la drôle de paix

Septembre 1919. La guerre est finie depuis dix mois, mais pour les Français, c’est toujours la « drôle de paix ». Les prix flambent, les queues s’allongent, les grèves se multiplient, et l’on parle déjà de la prochaine guerre comme d’un vieux rendez-vous. Le numéro 167 du Canard enchaîné en fait son miel : six dessins suffisent à résumer l’humeur du pays – vaseuse, grinçante, et parfois franchement sinistre.

Car enfin, la vie chère, ce n’est plus une question d’économistes : même la mer s’y met. Guilac nous campe un pêcheur en guenilles expliquant à un bourgeois repu que la marée « baisse », tandis que les prix ne connaissent que la « hausse ». On ne sait plus si c’est l’océan qui se trompe ou les financiers : toujours est-il que le peuple a les pieds dans l’eau pendant que d’autres regardent ailleurs.

Et puisqu’il s’agit de patauger, Gassier nous sort un canard couvert de vase : « Ah ! quel jus ! » annonce le cabochon de la Mare. On ne saurait mieux dire de cette République qui se vautre déjà dans ses petites affaires, quand on croyait avoir laissé la boue dans les tranchées.

Mais la boue n’est rien comparée au sang séché. Raoul Guérin croque Landru, l’air faussement candide, confiant au juge que, sans ces « garces de femmes », les hommes seraient tous des frères. Un trait, une bulle, et voilà la France saisie par l’humour noir : après quatre ans de boucherie industrielle, on rit d’un boucher domestique.

Pendant ce temps, chez Bour, l’employé Pluchet explique à son patron qu’il prendra ses « vacances » cet hiver, « pour faire la queue au charbon ». Il y a les congés payés – enfin, pour les patrons – et les congés forcés – pour les autres, dans le froid et la fumée. La prévoyance nationale, c’est de préparer ses galoches pour attendre des heures devant le dépôt de charbon.

Et comme si la vie n’était pas assez terne, voilà que même les théâtres ferment. Calvo nous montre une famille bien habillée découvrant la pancarte : « Fermé pour fait de grève ». Pour une fois qu’ils avaient un billet de faveur ! Le conflit social devient une comédie de boulevard, où la lutte des classes se joue à guichets fermés.

Enfin, Laforge conclut la revue par un canard au téléphone, priant de terminer toute conversation par trois « Vive Clemenceau ! », histoire d’amadouer les mouchards de l’écoute. Le Tigre n’est plus au pouvoir, mais ses moustaches traînent encore jusque dans les combinés : on se croirait déjà dans un pays où la liberté se mesure au nombre de fois qu’on répète son allégeance.

Au total, six dessins, six coups de bec : l’inflation, la vase, le crime, la pénurie, la grève et la surveillance. La « mare aux vices », voilà bien le décor de cette France de 1919. Le Canard n’a pas besoin de longs sermons : un trait, une légende, et tout le monde est éclaboussé.


* Dessins de Bour, Calvo, Gassier, Guérin, Guilac & Laforge publiés dans l’édition du Canard enchaîné du 10 septembre 1919