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La Mare aux Canards

L’affaire Markovic – Comment s’en débarrasser
3 septembre 1975

L’affaire Markovic : cinquante ans après, le spectre d’un scandale

Le retour d’un fantôme judiciaire

Le 29 août 1975, le juge Jean Ferré rend une ordonnance renvoyant François Marcantoni devant la chambre d’accusation, étape clé qui devait ouvrir la voie à une comparution devant les assises des Yvelines. Quelques jours plus tard, Le Canard enchaîné publie, dans son édition du 3 septembre, un article signé Michel Gaillard au titre évocateur : « Comment s’en débarrasser ».

Ce papier illustre à merveille le ton du journal : ironique, corrosif et obstinément attentif aux zones d’ombre du pouvoir. Gaillard y montre comment, depuis 1968, l’affaire Markovic s’est transformée en véritable poison politique, embarrassant tous les cercles du gaullisme, puis du giscardisme.

Un meurtre et une rumeur

Le 1ᵉʳ octobre 1968, le corps de Stevan Markovic, ancien garde du corps d’Alain Delon, est retrouvé dans une décharge à Élancourt (Yvelines). Dès le début, l’enquête prend un tour sulfureux : autour du défunt gravitent le cinéma, la pègre et bientôt les plus hautes sphères de l’État.

Markovic aurait laissé entendre qu’il détenait des photographies compromettantes, visant notamment Claude Pompidou. La rumeur se répand : soirées, chantages, « dossiers » explosifs… « Dépêtrons-nous comme vous voulez, mais l’affaire Markovic doit se terminer par un non-lieu », cite Michel Gaillard en rapportant la consigne officieuse donnée par le garde des Sceaux.

Des juges ballotés, des pressions constantes

L’article du Canard détaille le va-et-vient des magistrats et des pressions politiques. Le juge Patard est dessaisi, remplacé par Jean Ferré. « Les magistrats se méfient encore d’une possible indépendance… », ironise Gaillard, soulignant combien la justice semble marcher sur des œufs face à un dossier aussi explosif.

Le journaliste insiste aussi sur la continuité : chaque étape de l’affaire est marquée par un changement de décor judiciaire ou ministériel, comme pour mieux brouiller les pistes.

Un parfum de complot permanent

Le papier de Gaillard insiste sur ce climat délétère : les uns parlent de cabale, les autres de manipulation policière, d’autres encore de querelles internes au pouvoir gaulliste. Le Canard ne tranche pas, mais expose, décortique et insiste sur la mécanique de l’enterrement programmé : « Si les magistrats se tiennent coi, c’est pour mieux protéger Pompidou », note l’article.

À travers ce récit, on lit en creux la manière dont la rumeur s’érige en arme politique. En 1969, lors de la campagne présidentielle, Georges Pompidou reste hanté par ces insinuations ; élu président, il n’aura de cesse de laver son honneur. Mais comme l’écrit Gaillard : « Rien ne sera pardonné ».

Marcantoni, figure encombrante

Renvoi en correctionnelle, soupçons insistants : François Marcantoni, ami de Delon, finit par incarner le bouc émissaire idéal. Le 29 août 1975, c’est lui que Jean Ferré estime devoir renvoyer vers les assises. Le Canard en rend compte avec un détachement ironique : la justice, incapable de démêler l’écheveau, choisit la voie la plus simple : un procès pour sauver la face.

Mais l’article souligne à quel point ce renvoi ne met fin à rien. Car au-delà de Marcantoni, le parfum de scandale demeure : « Affaire Markovic : c’est un mélange de banal fait divers et de poison politique persistant. »

Une affaire, mille fantômes

Cinquante ans après, l’affaire Markovic reste une énigme. Aucun cliché compromettant n’a jamais été produit, mais la rumeur a durablement marqué la vie publique. Elle a entaché la réputation de Claude et Georges Pompidou, alimenté la méfiance entre politiques et juges, et illustré le rôle des médias dans la mise en récit du scandale.

Le papier de Michel Gaillard, publié le 3 septembre 1975, en est un jalon essentiel : il montre comment, sept ans après la découverte du corps, le dossier ne cesse de rebondir et de hanter la République.

Héritage satirique

Relire aujourd’hui cet article, c’est mesurer la persistance d’un « air du temps » : celui où la justice, la politique et la presse s’entrelacent dans un ballet d’intrigues, de fuites et de silences. C’est aussi retrouver le style du Canard enchaîné, qui savait pointer du doigt, avec humour et gravité, les lâchetés du pouvoir.

En définitive, l’affaire Markovic n’est pas seulement une énigme criminelle. Elle est devenue un miroir de la République, de ses rumeurs et de ses fantômes. Un demi-siècle plus tard, elle continue d’interroger : où s’arrête la vérité judiciaire ? où commence la manipulation politique ? Et qui, en définitive, avait intérêt à ce que « l’on s’en débarrasse » ?


* Dessin de Vazquez de Sola publié dans l’édition du Canard enchaîné du 3 septembre 1975