N° 518 du Canard Enchaîné – 2 Juin 1926
N° 518 du Canard Enchaîné – 2 Juin 1926
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Tout le Maroc célèbre les Fêtes de la Victoire
Dans Le Canard enchaîné du 2 juin 1926, Pierre Bénard tourne en dérision la « victoire » coloniale française au Maroc, célébrée avec un faste grotesque après la reddition d’Abd el-Krim. Sous le titre Tout le Maroc célèbre les Fêtes de la Victoire, il décrit une mise en scène triomphale où Lyautey, Steeg et les dignitaires coloniaux paradent entre drapeaux, arcs de triomphe et fanfares, pendant que la population « civilisée » entonne les refrains de la soumission. Derrière le pastiche jubilatoire, Bénard dénonce la vanité du colonialisme français et le ridicule d’une République en crise qui cherche sa gloire dans la poussière du Rif.
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Le 2 juin 1926, Le Canard enchaîné publie à sa une un texte cinglant signé Pierre Bénard, Tout le Maroc célèbre les Fêtes de la Victoire. Sous les apparences d’un reportage enthousiaste, l’article raille avec une ironie impitoyable la célébration organisée à Rabat et à Fès après la reddition d’Abd el-Krim, chef de la république du Rif.
En cette fin de mai 1926, la France et l’Espagne viennent d’écraser la résistance rifaine après cinq ans d’une guerre féroce menée dans les montagnes du nord du Maroc. L’opinion métropolitaine, lassée de la guerre du Rif, accueille la nouvelle de la reddition comme un soulagement, et la presse coloniale exulte. Mais dans les colonnes du Canard, la « victoire » devient un spectacle d’absurdité — une parodie de triomphe impérial célébrant moins la civilisation que la suffisance des colonisateurs.
Bénard déploie ici tout son art du faux reportage. Le ton imite celui des journaux patriotiques, multipliant les détails comiques : le « défilé de la Victoire » voit passer les troupes françaises et espagnoles sous un « arc de triomphe construit spécialement », pendant que les Marocains « civilisés » chantent « Y’en a bon, bon civilisation ! » sous les caricatures de Guilac. L’effet de mimétisme est redoutable : en reprenant le vocabulaire de la presse coloniale, le Canard en dévoile la vacuité.
Chaque paragraphe enfonce le clou. Les « fêtes de la Victoire » sont décrites comme une farce mécanique : on salue, on parade, on tire des coups de canon « sans accident », on distribue des gerbes et des sourires. Le maréchal Lyautey, gouverneur du Maroc, est présenté comme un général de carton, orchestrant la liesse avec la même solennité qu’un directeur de cirque. La mention finale du diplomate Henry Bérenger, envoyé à Madrid « pour négocier le remboursement des intérêts espagnols », parachève la moquerie : la victoire militaire s’achève en tractations financières, signe que l’empire ne repose que sur la dette et la duplicité.
Historiquement, ce rire a des dents. En mai 1926, la France traverse une crise politique et économique aiguë : le franc s’effondre, le gouvernement Herriot chancelle, et la Troisième République s’enfonce dans le discrédit. Le Canard, fidèle à sa ligne, détourne la célébration coloniale en miroir grotesque d’un pouvoir affaibli. La victoire d’Afrique du Nord ne masque pas la défaite intérieure. Tandis que Lyautey parade au soleil de Rabat, la République, elle, s’effrite dans les bureaux de la Banque de France.
Bénard, qui manie le comique comme une arme morale, évite toute leçon explicite : il se contente de tendre au lecteur le reflet grotesque d’un empire persuadé d’incarner la civilisation. Le dessin de Guilac, montrant des Marocains franchissant un arc de triomphe flanqué du slogan « Y’en a bon civilisation ! », dit tout : la colonisation s’autocélébre dans une langue qu’elle a elle-même inventée, celle de la domination travestie en mission humanitaire.
Sous ses rires, cet article résonne comme un acte d’irrespect salutaire. À l’heure où la France s’enorgueillit d’avoir « pacifié » le Rif, Le Canard enchaîné rappelle que la victoire n’est qu’un décor. Derrière les arcs de triomphe en carton-pâte, il n’y a pas la grandeur, mais la fatigue d’un empire qui se prend encore pour Rome.





