N° 537 du Canard Enchaîné – 13 Octobre 1926
N° 537 du Canard Enchaîné – 13 Octobre 1926
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On n’a qu’une parole – Considérants à l’accord Mellon-Bérenger
Le 13 octobre 1926, Le Canard enchaîné offre un double tir groupé contre Raymond Poincaré et sa “ratification patriotique” des accords Mellon-Bérenger sur la dette française envers les États-Unis. En une, le journal raille l’“honnêteté” de l’homme d’État, soudain converti à ce qu’il combattait encore trois mois plus tôt. En page 3, Pierre Bénard orchestre un festival de “considérants”, tournant la diplomatie en absurde liturgie administrative. Entre la vertu proclamée et la servitude financière, le Canard dégonfle la baudruche du redressement moral : derrière le sérieux de Poincaré, il n’y a qu’un “marchand de considérants” parmi d’autres.
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L’édition du Canard enchaîné du 13 octobre 1926 témoigne de la verve la plus mordante du journal face au gouvernement de Raymond Poincaré, alors lancé dans la ratification de l’accord Mellon-Bérenger, signé à Washington en 1926 pour régler la dette française envers les États-Unis. Cet accord, qui engageait la France à rembourser 405 millions de dollars sur 62 ans, symbolisait tout ce que le Canard exécrait : la soumission financière sous couvert de patriotisme et de vertu républicaine.
Le billet de une, ironiquement intitulé On n’a qu’une parole, déroule l’un des retournements politiques les plus spectaculaires de la IIIᵉ République. Poincaré, rappelle le journal, avait juré haut et fort qu’il ne “demanderait jamais la ratification des accords de Washington” qu’il jugeait contraires à la souveraineté nationale. Et voici que, trois mois après son retour au pouvoir, le même Poincaré se fait le garant de ces accords qu’il dénonçait encore en juillet. “Parce que M. Poincaré est un honnête homme !”, ironise le Canard, feignant d’admirer sa “constance dans la fidélité à lui-même”.
La charge est d’autant plus efficace que le journal mime la solennité du discours gouvernemental pour mieux en révéler le ridicule. Sous sa plume, l’homme du “redressement du franc” devient un modèle d’auto-contradiction patriotique : ferme dans ses volte-face, héroïque dans son opportunisme. Le ton faussement admiratif — “un homme ferme en ses desseins, fidèle à ses principes, conséquent avec lui-même” — ne laisse aucun doute sur la satire : Poincaré incarne cette République qui confond l’entêtement et la dignité, la dette et la grandeur.
En page 3, Pierre Bénard poursuit la démonstration avec Considérants à l’accord Mellon-Bérenger, chef-d’œuvre de parodie bureaucratique. Le texte se présente comme un faux procès-verbal diplomatique, énumérant les “considérants français” et “considérants américains” dans un jeu de miroir absurde. On y lit, par exemple :
“Considérant que la France n’a jamais refusé de rembourser l’argent qu’elle avait prêté à l’Amérique…”
“Considérant que les stocks fournis ne correspondaient pas à la valeur réclamée étant donné qu’ils sont constitués pour la plus grande partie en pèse-bébés inutilisables…”
Sous l’apparence d’un document officiel, Bénard déploie une charge d’une précision chirurgicale contre la rhétorique diplomatique. Les “considérants” deviennent la métaphore du verbiage gouvernemental : des phrases creuses qui masquent la dépendance et la résignation. Le texte, truffé d’absurdités poétiques (“pèse-bébés inutilisables”, “crocodiles en peluche”), oppose le langage technocratique au bon sens populaire : la France, moquée pour son verbiage moral, apparaît comme un pays qui “paye en beaux discours” ce qu’il n’a pas les moyens d’assumer.
Historiquement, le Canard capte un moment charnière : l’automne 1926 marque la fin de la panique monétaire et le retour d’une stabilité obtenue au prix d’un endettement durable. Poincaré, célébré par la droite comme le sauveur du franc, devient pour la gauche satirique le symbole d’une République qui troque son indépendance contre le prestige d’une signature à Washington.
En associant le faux sérieux de Bénard et le sarcasme frontal du billet de une, le Canard enchaîné livre une double leçon de journalisme satirique : l’humour y devient arme politique, révélant la vérité par l’absurde. Sous le rire, une conviction tenace : en 1926, la France ne se relève pas — elle s’agenouille, en comptant ses “considérants”.
Le dessin de Guilac, intitulé Météorologie, vient parachever la charge orchestrée par Le Canard enchaîné dans cette édition du 13 octobre 1926. La silhouette du Poincaré-girouette, campée sur un axe de vent, tend l’index vers tous les points cardinaux du débat : « Payons ! », « Il faut ratifier à tout prix ! », « Ne payons pas ! », « Ratifier serait une trahison ! ».
La métaphore est limpide : l’homme d’État qui prétend incarner la constance nationale tourne avec les courants politiques du moment. Guilac, d’un trait simple mais redoutable, résume ce que les articles de une et de page 3 développent avec des mots : sous le vernis de la fermeté, Poincaré n’est plus qu’un instrument de mesure des vents dominants, oscillant entre rigueur, patriotisme et opportunisme diplomatique.
Ce dessin, placé à côté des Considérants à l’accord Mellon-Bérenger, agit comme un verdict visuel : en 1926, le “sauveur du franc” n’est plus qu’une girouette de la République.





