N° 714 du Canard Enchaîné – 5 Mars 1930
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5 mars 1930 — Le ministère du Mardi gras
Quand Pierre Bénard et Guilac déguisent le gouvernement Tardieu
Remaniement ou mascarade ? En mars 1930, Le Canard enchaîné fait défiler André Tardieu et ses ministres comme un cortège de Mardi gras. Sous la plume de Pierre Bénard et le crayon de Guilac, la politique devient carnaval : Briand en pierrot, Laval en Arlequin, et Tardieu en gendarme impérial. Derrière le rire, une satire féroce de la République des masques et des discours interchangeables.
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Le ministère du Mardi gras
À la une du Canard enchaîné du 5 mars 1930, Pierre Bénard orchestre une véritable mascarade politique. Sous le titre « Le ministère du Mardi gras », le journal transforme la formation du nouveau gouvernement Tardieu en défilé carnavalesque. En pleine instabilité ministérielle, alors que le président du Conseil vient tout juste de recomposer son équipe après la chute du cabinet précédent, Le Canard choisit de tourner l’événement en farce. Et, comme souvent, le dessin de Guilac prolonge la plaisanterie : une galerie de ministres déguisés, de Laval en Arlequin à Aristide Briand en pierrot lunaire, jusqu’à Tardieu lui-même, campé en « gardien de la paix » à la façon d’un Napoléon de pacotille.
Le prétexte ? Le remaniement de mars 1930, présenté par la presse officielle comme un renouveau politique, est ici ramené à un carnaval de vanités. Bénard souligne avec une ironie douce-amère que Tardieu a « toujours été l’apôtre de la bonne humeur », et qu’il s’agit sans doute du ministère le plus « gai » de la Troisième République. Sous la plume du Canard, cette gaieté devient synonyme d’improvisation : les portefeuilles changent de mains aussi vite que les masques, et les ministres « défilent devant les Chambres » comme on défilerait sur les boulevards de Paris le jour du Mardi gras.
Le texte fourmille de clins d’œil et de portraits enjoués. Gaston Doumergue, président de la République, est décrit comme un spectateur émerveillé par « cette farandole de masques et de toges ministérielles ». Aristide Briand, pourtant revenu des illusions diplomatiques, se voit gratifié d’une place de pierrot diplomate, tandis que Paul Reynaud, ministre des Finances, « pourrait avoir élégance et canon, s’il n’avait fait de l’élégance une affaire de chiffres ». Quant à Raoul Péret, nouveau ministre de la Justice, il est célébré pour son « entrain de Saint-Raphaël » — manière subtile de rappeler ses liens avec le monde des affaires du sud et sa réputation de viveur.
Mais derrière la légèreté de ton, la charge politique est redoutable. Le Canard met en scène un pouvoir en crise qui se grise d’apparences. Le mot d’ordre « sous le signe de la bonne humeur » est en réalité un constat d’impuissance : la Troisième République, confrontée à la crise économique mondiale et à l’instabilité chronique de ses cabinets, s’accroche à la mise en scène d’une continuité joyeuse. Bénard résume la situation en une formule : « On applaudit à Saint-Raphaël, on danse à la Chambre, et l’on défile à Matignon. »
Le dessin de Guilac, foisonnant de détails, parachève cette satire en donnant des visages grotesques aux « nouveaux excellences ». Chacun porte son costume symbolique : Tardieu en gendarme, Laval en Arlequin, Briand en poète fatigué, et même Paul-Boncour en gladiateur pacifique. Le Canard célèbre à sa manière un Mardi gras politique où les masques remplacent les programmes.
Un siècle plus tard, l’article garde sa modernité : il dit tout d’un pouvoir obsédé par l’image, prompt à changer de costume mais pas de direction. En 1930 comme aujourd’hui, le carnaval du pouvoir reste un spectacle sans fin.





