N° 736 du Canard Enchaîné – 6 Août 1930
N° 736 du Canard Enchaîné – 6 Août 1930
69,00 €
En stock
Ce n’est pas la même chose…, par Pierre Scize –
Avouez toujours ! par Pierre Bénard – Les aveux de Marcel Leloutre rendant plus mystérieuse encore l’affaire du Touquet – Dans le Hall de l’hôtel, dessin de Pol Ferjac. Maginot à Vittel – La santé de monsieur Poincaré – Le nom du coupable svp, par Dr Whip – Les plaisirs de la plage, par René Buzelin – La vie des abeilles, par Jules Rivet – M Rollin a visité brillamment les huîtres de marennes, par Drégérin – Un vif incident met en émoi la circonscription de M. Tardieu – Chronique de l’œil du bouif, courrier de la cambrouze, par Georges de La Fouchardière – De ma fenêtre, par Rodolphe Bringer – Ciné : Les projets de M. Schew Ingum, manager général de la Parachose pour l’amélioration et l’essor du cinéma en France, par Alain Star – Théâtres, par Henri Jeanson – Un défaitiste, dessin de Henri Monier – Nos écrivains en vacances : le docteur Whip, dessin de Henri Guilac – Une Trike avec M. Jean Chiappe, préfet de police, dessin de Henri Guilac – Variation sur la pluie ( à la manière de Pedro ), dessins de Grove, Monier et Ferjac –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Avouez toujours !
Le 6 août 1930, Le Canard enchaîné publie à la une un texte de Pierre Bénard, intitulé « Avouez toujours ! » — une leçon d’ironie judiciaire et de sociologie policière, aussi drôle que cruelle. Derrière la farce, on devine la plume d’un moraliste qui, sous couvert d’humour, démonte les automatismes d’une justice convaincue d’avance.
L’article part d’un précepte renversé : « Avouez toujours ! » Bénard joue avec cette injonction comme avec un proverbe absurde. Au lieu d’inviter à la sincérité, il en fait la plus dangereuse des consignes. Celui qui avoue, écrit-il, se condamne — non parce qu’il est coupable, mais parce que la machine policière a besoin d’un aveu, n’importe lequel. L’auteur enchaîne avec un pastiche de bon sens bourgeois : « Car aujourd’hui la sagesse et l’expérience se rencontrent pour nous souffler : avouez toujours. » Le ton faussement didactique, à la manière d’un manuel de morale, renforce la satire : la société, dit Bénard, préfère les aveux commodes à la recherche de la vérité.
Pour illustrer son propos, le chroniqueur évoque une affaire criminelle de l’époque : celle d’un jeune homme nommé Marcel Leloutre, soupçonné d’avoir assassiné Mme Wilson. Le Canard, fidèle à sa réputation d’iconoclaste, s’amuse de la frénésie médiatique : « Voilà un petit gars qui n’a même pas vingt ans et qui se prétend comme ça l’assassin de Mme Wilson. À d’autres ! » En réalité, Leloutre, un petit mythomane en mal de notoriété, s’était inventé ce rôle de coupable, déclenchant un emballement grotesque. Bénard s’en saisit pour moquer la presse, la police, et la psychologie de comptoir : plus personne ne croit un innocent, mais tout le monde s’empresse d’écouter le premier imbécile qui se déclare meurtrier.
La satire atteint son sommet lorsque Bénard évoque, dans un clin d’œil mordant, la figure de Landru, célèbre tueur de veuves guillotiné en 1922. Avec son humour noir, il imagine le “Barbe-Bleue de Gambais” livrant un aveu complet et inutile : « C’est moi qui ai fait disparaître les dix-sept femmes que vous cherchez… mais je n’aurais jamais songé à me faire défendre par Moro-Giafferi ! » En d’autres termes : même quand le crime est avéré, la logique de l’aveu tourne au théâtre.
À travers ces caricatures, Bénard dénonce un climat d’époque : celui d’une France obsédée par la criminalité, nourrie de faits divers spectaculaires, de scandales judiciaires et de feuilletons policiers. Dans un pays où la confiance envers les institutions s’effrite — sous l’effet des crises politiques et économiques —, la justice devient une scène où le public cherche moins la vérité que la distraction.
La chute du texte ramène le propos à son essence satirique. “Et si un beau matin, on m’accusait d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je ne ficherais pas le camp comme un imbécile. Je répondrais simplement : ‘Mais bien sûr, monsieur, je les ai volées’.” En une pirouette, Bénard résume le désespoir amusé du Canard : mieux vaut jouer la comédie que de croire encore à la logique d’un monde où la raison a depuis longtemps déserté le commissariat.





