N° 184 du Canard Enchaîné – 7 Janvier 1920
N° 184 du Canard Enchaîné – 7 Janvier 1920
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ULTRA DERNIERE HEURE
DE CATASTROPHE EN CATASTROPHE
Quand Le Canard déchaîné annonce pleine page que « La Seine complètement tarie ne coule plus dans Paris », c’est toute une ville qu’il imagine au bord de l’asphyxie. Dans un pastiche d’apocalypse journalistique, Roland Catenoy décrit la décrue du fleuve comme une catastrophe nationale : usines à l’arrêt, ouvriers au chômage, accidents en chaîne, députés en furie. Derrière l’exagération satirique, le journal croque avec jubilation le mélange de peur, de fatalisme et d’incompétence politique qui accompagne chaque crise parisienne.
Épiphanie, dessin de Henri Guilac – Le bon côté, dessin de Bour –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Publié dans l’édition du 7 janvier 1920, l’article de Roland Catenoy frappe d’abord par son titre cataclysmique : « La Seine complètement tarie ne coule plus dans Paris ». La rhétorique est celle du désastre imminent, comme si l’assèchement du fleuve valait tremblement de terre ou effondrement social. Ce qui n’est en réalité qu’un épisode de faible débit est ainsi transfiguré en calamité nationale : « La décrue a atteint hier son maximum », martèle le sous-titre, et Le Canard d’ajouter, pince-sans-rire, que 160 000 travailleurs ont été réduits au chômage par la pénurie d’eau.
Toute la mécanique de la satire est là : appropriation des codes du journalisme de catastrophe, mais poussés jusqu’à l’absurde. Catenoy multiplie les images de fin du monde : des « usines complètement privées d’eau », un fleuve réduit à une « large avenue de boue », les agents de police contraints de patrouiller dans le lit asséché, où se pressent gamins et curieux. Même les accidents les plus invraisemblables se succèdent : suicides, fractures, chutes dans la vase, noyade paradoxale au milieu de l’eau manquante. La rubrique se lit comme un inventaire burlesque des maux parisiens, entre sécheresse et inondation, pauvreté et bureaucratie.
Mais derrière le rire, il y a aussi une critique politique. L’article rapporte en détail l’agitation à la Chambre des députés. L’opposition, à commencer par Maurice Barrès, s’empare du sujet pour accabler le gouvernement. Le ministre des Travaux publics, Pierre Dupuy, est tourné en ridicule : incapable de rassurer, il se contente de promettre des mesures que le chroniqueur qualifie avec ironie de « gesticulations vaines ». Le Canard met ainsi en scène la vieille pièce du régime parlementaire : une majorité chancelante, des députés qui s’indignent pour la forme, et des travailleurs réduits à subir, ici symbolisés par les ouvriers privés de gagne-pain.
Il faut replacer cette satire dans son contexte : l’hiver 1919-1920 est celui des difficultés économiques, des grèves et du chômage, alors que la France sort exsangue de la guerre. L’eau de la Seine devient prétexte à évoquer les fragilités d’un pays qui vacille entre reconstruction et désillusion. Que le Canard choisisse d’inventer une sécheresse biblique pour le dire en dit long sur son art : transformer les petites nouvelles en farce géante, où les ridicules de la presse, des politiques et de la société tout entière sont renvoyés à leur absurdité.
C’est tout le charme de ce faux désastre : une Seine réduite à un filet d’eau devient l’occasion d’une charge au vitriol contre la paresse des élus et la fatalité complaisante des journaux. En somme, une page typique de ce Canard déchaîné des débuts, où le calembour côtoyait l’invention délirante pour brosser le portrait grinçant d’un Paris qui, même sans eau, ne manquait pas de satire.





