N° 744 du Canard Enchaîné – 1 Octobre 1930
N° 744 du Canard Enchaîné – 1 Octobre 1930
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1er octobre 1930 — Les “bourreurs de crâne” reviennent… en congrès !
Quand Le Canard célèbre à sa façon les champions du mensonge patriotique
Sous la plume de Pierre Bénard, les anciens propagandistes de la Grande Guerre se retrouvent à Paris pour fêter leurs exploits verbaux. On y débat doctement de “L’Allemagne paiera”, on réclame une “chaire de bourrage de crâne”, et Tardieu porte le toast : “Ma prospérité dépend de vous !” Une farce d’anthologie, signée du rire le plus lucide de 1930.
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Les Bourreurs de crâne ont tenu à Paris un grand congrès commémoratif
Le 1er octobre 1930, Le Canard enchaîné consacre sa une à un texte signé Pierre Bénard, intitulé « Les Bourreurs de crâne ont tenu à Paris un grand congrès commémoratif ». Quinze ans après la Grande Guerre, Bénard orchestre une satire magistrale : il imagine un congrès de presse réunissant, sous l’égide d’anciens “patriotes de plume”, tous ceux qui, en 1914-1918, avaient bâti leur carrière sur le mensonge, la désinformation et l’héroïsme de salon.
Le ton est faussement solennel : les “bourreurs de crâne” se félicitent de leurs bons mots d’antan, commentent leurs formules comme autant de chefs-d’œuvre, et discutent doctement de la paternité de “L’Allemagne paiera”. Derrière le rire, Bénard vise juste : c’est la mémoire falsifiée de la guerre, entretenue par les journaux nationalistes et les faiseurs d’opinion, qu’il cloue au pilori.
Le prétexte de l’article est réel : la publication, dans Le Crapouillot, d’une Anthologie du bourrage de crâne compilée par Charles Daudet. Ce numéro spécial exhumait les articles de guerre les plus grotesques ou mensongers de la presse française, ceux du Matin, de L’Écho de Paris, du Petit Parisien ou du Journal, où l’on prétendait que “la mobilisation n’est pas la guerre” ou que “les Allemands sont des lâches et des poltrons”. Bénard, en bon satiriste, pousse la logique à l’absurde : si ces messieurs se félicitent tant de leurs exploits passés, pourquoi ne pas en faire un congrès officiel, avec présidence, bureau, et banquet final sous la houlette d’André Tardieu ?
Et quel banquet ! Le président du Conseil y est présenté levant son verre à la santé des congressistes :
“Le bourrage de crâne est une des conditions de ma prospérité. Vous pouvez compter sur moi.”
La pique est acérée : Tardieu, ancien journaliste et ancien collaborateur de Clemenceau, s’est fait le chantre d’une “information d’État”, contrôlée et docile. En lui attribuant ce toast imaginaire, Bénard relie la propagande de guerre à la communication politique contemporaine : le bourrage de crâne n’est pas mort, il a simplement changé de costume.
L’humour, ici, fonctionne par accumulation. L’article fourmille de citations authentiques des années 1914-1918 — “Nos pertes sont relativement minimes”, “Les blessés reviennent souriants” — réinsérées dans un décor de comédie bureaucratique. Le congrès devient une “Académie du mensonge patriotique”, où l’on débat doctement de la formule la plus rentable et où l’on réclame, non sans logique, une “chaire de bourrage de crâne au Collège de France”.
Le dessin de Guilac prolonge la farce : caricatures de journalistes à la mine sentencieuse, d’officiers repus, croqués comme des pantins de la “culture officielle”.
En 1930, la France se souvient encore de la guerre comme d’un traumatisme fondateur, mais aussi d’un récit mensonger : celui de la “victoire morale”, de “la guerre juste”, entretenu par les journaux patriotes et les anciens combattants les plus dociles. Le Canard, fidèle à sa mémoire antimilitariste, oppose à cette mythologie l’arme du rire. Quinze ans après 1915, il rappelle que le mensonge, lui, n’a jamais été démobilisé.





