N° 814 du Canard Enchaîné – 3 Février 1932
N° 814 du Canard Enchaîné – 3 Février 1932
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Hymne de paix … chant de leurre
Février 1932 : le Japon bombarde Shanghai, mais assure que « les hostilités ne sont pas la guerre ». Pierre Bénard démonte cette hypocrisie avec un humour glaçant, avant d’imaginer, en page 2, une “Exposition internationale de la civilisation” où chaque nation viendrait exposer ses canons et ses gaz de combat. Satire féroce d’un monde qui prépare la guerre tout en parlant de paix : Bénard y signe un chef-d’œuvre d’ironie prémonitoire, à la veille des ténèbres des années 30.
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3 février 1932 : Quand la « civilisation » bombarde Shanghai
À la une du Canard enchaîné du 3 février 1932, Pierre Bénard se penche sur la guerre qui n’en est pas une : l’invasion de Shanghai par l’armée japonaise. Sous le titre ironique « Mais les hostilités ne sont pas la guerre », il moque la propagande du Japon impérial, qui bombarde des villes tout en assurant que les combats ne constituent qu’une « opération de police ». En contrepoint, son second article, « L’Exposition internationale de la civilisation », transforme cette hypocrisie diplomatique en satire d’un monde qui se gargarise de “civilisation” tout en préparant les armes de sa propre destruction.
En janvier 1932, le Japon a attaqué la Chine à Shanghai, quelques mois après avoir envahi la Mandchourie. L’Occident condamne mollement ; la Société des Nations, paralysée, se contente de vœux pieux. Bénard, lui, pointe l’absurdité du langage diplomatique : comme Poincaré en 1914 proclamait que « la mobilisation n’est pas la guerre », Tokyo répète que « les hostilités ne sont pas la guerre ». Le journaliste raille ce travestissement sémantique où les bombes ne seraient qu’un moyen de “maintien de la paix”.
Avec son art de la litote sarcastique, il dénonce le renversement moral du discours dominant : la Chine, pays victime, est présentée comme la « barbarie », tandis que le Japon, allié des puissances occidentales, incarne la « civilisation ». Ce cynisme, il le démonte par l’ironie : « Il faut avoir la mauvaise foi d’un Chinois pour prétendre que bombarder une ville ouverte soit contraire au pacte Briand-Kellogg ! » — cette phrase suffit à renvoyer dos à dos les pactes de paix inutiles et les puissances hypocrites qui les ont signés.
Sur la deuxième page, Bénard poursuit le même thème sous une autre forme : une fausse chronique mondaine sur la future “Exposition internationale de la civilisation” que Paris envisagerait d’organiser. Derrière l’annonce anodine, il imagine une exposition des horreurs modernes, où les nations viendraient présenter leurs produits les plus “civilisés” : obus, gaz de combat, bombes “électrons” et canons de précision. Chaque stand national devient une caricature : la salle Krupp, la salle Schneider, la salle Shôsawa (un amiral japonais engagé à Shanghai), la salle Hitler — déjà prophétique en ce début 1932.
L’ironie de Bénard se fait prophétique : en 1932, Hitler n’est encore qu’un politicien agité en campagne, et pourtant son nom figure déjà au catalogue des “bienfaiteurs de l’humanité”. L’auteur devine, avant bien d’autres, que la “civilisation” se prépare à exhiber ses progrès dans la barbarie technologique. « Seront réunies toutes les espèces de gaz dont s’honore l’humanité », écrit-il, anticipant sans le savoir les bombardements chimiques de la guerre suivante.
L’ensemble des deux articles constitue un petit chef-d’œuvre d’humour noir : Bénard y mêle la verve antimilitariste héritée du Canard des années 20 et une lucidité politique digne des pamphlets pacifistes. Sa cible n’est pas seulement le militarisme japonais : c’est l’hypocrisie des démocraties européennes, qui condamnent la guerre tout en commerçant avec ses artisans. La mention récurrente des usines Schneider ou Krupp, ces “temples de la civilisation moderne”, dénonce la collusion entre la morale officielle et l’industrie d’armement.
En 1932, la crise mondiale ébranle les démocraties, la Société des Nations agonise, et les premières dictatures affûtent leurs armes au nom de l’ordre. En mêlant sarcasme et prémonition, Pierre Bénard signe ici deux textes majeurs du Canard enchaîné de l’entre-deux-guerres : des articles où le rire, acide et clairvoyant, démasque les hypocrisies d’un monde qui confond paix et anesthésie morale, civilisation et industrie de la mort.





