N° 615 du Canard Enchaîné – 11 Avril 1928
N° 615 du Canard Enchaîné – 11 Avril 1928
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Grave tension entre le Vatican et Mussolini
Quand Le Canard enchaîné tourne en farce la guerre sainte du Duce
Dans son édition du 11 avril 1928, Le Canard enchaîné confie à Pierre Bénard une chronique désopilante sur un sujet en apparence sérieux : la querelle entre le Vatican et Benito Mussolini. Sous le titre solennel « Grave tension entre le Vatican et Mussolini », Bénard déploie un humour d’anthologie, feignant d’annoncer l’imminence d’une guerre… entre le Saint-Siège et le fascisme. Tanks bénis, zouaves mobilisés, cuirassé pontifical et observations « par saucisse » — tout l’arsenal du burlesque est mobilisé pour moquer la propagande belliqueuse du régime italien et la diplomatie tatillonne de Pie XI. Une satire géopolitique comme seul le Canard savait les bénir.
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Le pape mobilise ses zouaves : une guerre sainte à la sauce Bénard
En avril 1928, l’Italie fasciste et le Vatican traversent une période de tension réelle, prélude aux Accords du Latran qui seront signés un an plus tard. Mussolini, soucieux d’affirmer sa domination sur la société italienne, dissout plusieurs organisations catholiques de jeunesse, accusées d’échapper à son contrôle. Le pape Pie XI réagit avec froideur et rappelle que la foi ne saurait se plier au fascisme. C’est sur ce fond politique et religieux tendu que Le Canard enchaîné choisit de tourner la crise en opérette.
Le texte de Pierre Bénard adopte le ton d’un faux reportage de guerre : le Saint-Siège aurait proclamé « l’état de siège », des tranchées seraient creusées autour du Vatican et des fils de fer barbelés tendus dans les jardins. On parle même d’« état de saint siège » — un jeu de mots délicieux qui donne le ton. L’humour repose sur le décalage entre la rhétorique martiale et la réalité dérisoire des moyens du pape : Bénard imagine des « troupes de choc » composées de nonnes, de cardinaux et de zouaves à mitre, tandis que Guilac illustre la scène d’un dessin montrant des gardes suisses à la tête de tanks surmontés des étendards de la papauté.
Cette guerre imaginaire s’étend jusque sur mer : Pie XI, « montrant son désir très naturel d’un débouché vers la mer », ordonne la construction du cuirassé Cardinal Gasparri, navire « en cale sèche » promis à un glorieux destin ecclésiastique. On s’amuse d’une correspondance diplomatique où le pape bénit ses canons, surveille ses fronts, et ordonne la « grande répétition générale d’attaque contre l’ennemi supposé ». Le vocabulaire militaire envahit le langage religieux : le Saint-Père procède « après vêpres » à une revue des troupes, les prières deviennent des manœuvres, les cardinaux des officiers supérieurs. Bénard réussit ici une parodie de dépêche d’agence qui singe à merveille la solennité de la presse d’époque.
Mais sous la plaisanterie perce une critique subtile. En raillant les ambitions de Mussolini et les susceptibilités pontificales, le Canard dénonce à sa manière l’alliance douteuse du sabre et du goupillon. Le pape et le Duce se renvoient des anathèmes comme deux rivaux d’opérette, chacun revendiquant une autorité absolue sur les âmes italiennes. Le journal, fidèle à son anticlééricalisme souriant, se garde bien de prendre parti : il s’amuse de voir deux pouvoirs autoritaires s’affronter à coups de bénédictions et de bottes cirées.
À travers cette farce politico-théologique, Le Canard enchaîné confirme son art du détournement satirique. Ce qui, dans les dépêches sérieuses, sentait la crise diplomatique devient ici un théâtre bouffon. En avril 1928, quand la presse officielle s’inquiétait du devenir de la chrétienté italienne, le journal de Maréchal et Bénard, lui, y voyait surtout un nouveau miracle : celui du rire face au ridicule.





