N° 773 du Canard Enchaîné – 22 Avril 1931
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Décidément Paris est gâté : après … les Russes blancs, les Blancs d’Espagne !
22 avril 1931 — Alphonse XIII, roi déchu et client du Meurice
Pierre Bénard se moque de la “détresse royale”
Tandis que la presse versailliste s’apitoie sur le sort du “roi chevalier” chassé d’Espagne, Le Canard inverse la scène : Pierre Bénard décrit un Alphonse XIII logé au Meurice, surveillé par la police et consolé au Château-Margaux. Une “détresse” à pleurer… de rire. Derrière la farce, un constat : les peuples, eux, n’ont pas droit à l’exil en première classe.
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Alphonse XIII subit avec dignité les dures épreuves de l’exil
Le 22 avril 1931, dans un Canard enchaîné en pleine verve post-monarchique, Pierre Bénard signe un article à la fois féroce et faussement compatissant : « Alphonse XIII subit avec dignité les dures épreuves de l’exil ». Sous ce titre empruntant les codes des gazettes compassées, il déploie une satire brillante de la presse bourgeoise, toujours prête à verser des larmes sur les rois détrônés, mais jamais sur leurs peuples affamés.
Le contexte est alors brûlant : à peine une semaine plus tôt, le 14 avril 1931, l’Espagne proclamait la Deuxième République. Le roi Alphonse XIII, honni après des années de dictature militaire et d’échecs politiques, a quitté Madrid sans abdiquer, direction la France. Sa chute marque la fin d’un cycle : celui d’une monarchie usée et d’une Europe qui, de plus en plus, regarde le pouvoir héréditaire comme une anomalie historique.
Mais dans la presse française, notamment conservatrice, le ton n’est pas à la critique. On s’attendrit : “le roi chevalier”, “le noble exilé”, “l’homme qui a tout perdu sauf son courage”. Bénard, lui, s’empare de ce concert de componction pour le dynamiter de l’intérieur.
Sous sa plume, le “malheureux roi” devient un personnage de comédie, ballotté entre le pathétique et le ridicule. “Pauvre Alphonse que l’œil de Moscou et la main de l’Allemagne ont chassé du palais de ses pères…” : la phrase, faussement empathique, sonne déjà comme un pastiche du Petit Parisien. Le Canard s’amuse à détailler la “détresse royale” — voyage en wagon de seconde, repas sans grand cru, séjour dans un hôtel sans suite royale — avec un humour d’autant plus mordant qu’il mime les codes de la compassion journalistique. Le ridicule atteint son sommet lorsqu’on apprend que le roi, logeant à l’hôtel Meurice, a cassé un verre : le Petit Parisien en fait un drame national, et Bénard s’empresse de railler “la plus grande discrétion observée à ce sujet”.
Le dessin de Henri Guilac, lui, ajoute une note visuelle décisive : on y voit Alphonse confortablement installé au Meurice avec ses valises, tel un touriste heureux. La légende “Hôtel Meurice” dit tout : le monarque exilé n’a pas perdu le confort, seulement la couronne. La “détresse royale” prend soudain des airs de vacances de luxe, et Bénard s’en sert pour renverser la rhétorique compassionnelle. Son ironie vise moins l’homme que la posture médiatique : celle d’une presse qui glorifie le pouvoir jusque dans sa disgrâce.
Sous la moquerie perce une charge politique redoutable. En filigrane, le Canard oppose deux exils : celui, doré, d’Alphonse XIII, et celui, misérable, des peuples que les rois et dictateurs ont jetés dans la misère. “Le roi chevalier”, raille Bénard, n’est qu’un touriste aristocrate découvrant “la tristesse d’un taxi sous le brouillard de Marseille”. Le vrai pathétique n’est pas là, mais dans la condition de ceux qui, sans palais ni hôtel, subissent les “dures épreuves” de la crise économique mondiale.
En détournant le ton compassé des gazettes bien-pensantes, Pierre Bénard signe un morceau d’ironie politique typique du Canard de l’entre-deux-guerres : anticlérical, antimonarchiste, et plus lucide que jamais sur la comédie du pouvoir. Derrière l’exilé royal, il pointe la vraie tragédie du moment : celle des peuples, pas des princes.





